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Fin du XIXe siècle, les Valaisans ont le mollet leste : ils adorent danser le dimanche. Trop aux yeux du Conseil d’Etat qui veut cadrer ces élans fougueux et alcoolisés. Le hic (ou le hips) ? Ceux qui se posent en Père La Pudeur la pratiquent un peu trop, la danse !

 

Entre rires et moralité, ce 27 novembre 1894, le Grand Conseil débat autour des bienfaits gymnastiques de la danse ou de ses déboires. À trop lever les gambettes, tu lèves aussi z’un peu trop le coude. Et tu te la mets minable pour le lundi. Et tu es inerte de la production pour ton gentil patron. Et ton boss l’a mauvaise, cette cuite du pas cadencé. Condensé des débats. Citations authentiques. Attention, tu sers ton/ta partenaire, ça commence !

Désordres moraux et matériels de la danse

« Le Conseil d’État est d’avis qu’il y a lieu de mettre un frein aux désordres occasionnés, tant sous le point de vue moral que matériel par les danses trop fréquentes les jours de dimanches et de fêtes ; il n’estime cependant pas qu’il y ait lieu de supprimer complètement ce genre de réjouissance publique et traditionnelle dans les mœurs de la population valaisanne. C’est pourquoi le Conseil d’État propose de réviser la loi sur les auberges du 24 novembre 1886 dans le sens d’une restriction à apporter aux permissions trop fréquentes et trop facilement accordées par les autorités communales. Jusqu’à ce que cette révision intervienne, il propose d’inviter le Département de Justice et Police d’adresser aux autorités communales une circulaire les rendant attentives d’avoir à restreindre autant que possible les autorisations de danser les dimanches et les jours de fêtes de précepte.

La danse, c’est le lucre, le stupre et la bibine. Il suffit de voir les représentations artistiques de l’époque!

28 permis en un seul mois !

Bressoud, rapporteur, parlant de la danse, dit qu’en effet il est revenu à la Commission que dans une commune, 28 permis ont été accordés dans l’espace d’un mois. M. Saudan, de la Bâtiaz, ne comprend pas que l’on vienne proposer une révision de la loi dans le sens d’interdire complètement la danse le dimanche et les fêtes.

Quant à lui, il se déclare fort danseur, peut-être le plus fort danseur de tous les membres du Grand Conseil (éclats de rire).

Il a un fils, lieutenant dans l’armée fédérale, qui est bon danseur aussi (rires). Il a deux filles qui sont en service et qui dansent très bien. Enfin, son épouse et lui font encore très volontiers et très bien leur tour de danse (rires prolongés).

Pourquoi interdire la danse qui est un exercice gymnastique, alors que dans nos écoles on apprend la gymnastique et que M. de Werra vient de nous déclarer tout à l’heure qu’à St-Maurice, dont il est le président, le budget municipal s’est augmenté en dépenses, entre autres à cause de l’enseignement de la gymnastique ?

L’orateur proteste donc contre toute mesure restrictive de la danse, en tant, bien entendu, qu’elle n’entraîne pas à des abus.

Ducrey, Conseiller d’État, déclare que, lorsqu’il s’agit de prendre des mesures efficaces pour mettre un frein à des abus, soit à des actes qui peuvent compromettre le bien-être moral et matériel d’un peuple, les deux pouvoirs ecclésiastique et civil doivent marcher d’accord et s’appuyer. Le Conseil d’État n’a pas cru devoir interdire complètement la danse, preuve les motifs qu’il a émis dans son message.

Graves abus

Danseur valaisan dans l’esprit du Conseil d’Etat valaisan (représentation symbolique).

Par contre, le Conseil d’État et particulièrement le Chef du Département se sont trouvés dans l’occasion de constater que dans certaines communes de graves abus se commettaient au sujet de la danse.

On a, dans bien des communes, malheureusement plus le goût de la danse que du travail.

On oublie les règles d’une sage économie. La danse, bien ordonnée et surveillée, n’a rien de répréhensible ; mais il faut que les pouvoirs publics luttent contre ses conséquences en certains cas. L’une de ces conséquences, c’est l’abus de la boisson. Nous nous trouvons dans une période où, non seulement les pouvoirs publics, mais les citoyens parlent d’économie et pour cela il faut supprimer tout ce qu’il y a d’abusif dans les réjouissances. »

C’est celui qui interdit qui l’est !

Comment la presse d’il y a 125 ans a-t-elle restitué la teneur de ces débats rythmés ? Je me dois de rendre hommage à la concision redoutable du journal Le Confédéré. Le 1er décembre 1894, il résumait ainsi ces échanges.

« MM. les doyens insistent sur ce point que la danse entraîne à la boisson. Pendant que MM. les députés écoutent religieusement la lecture de cette pétition et s’apitoient sur le sort de notre jeunesse que la danse fait trop boire, un des vénérables doyens, signataire de la pétition, fit son entrée dans la salle ; il a un nez d’un carmin bien accentué, ce qui fait supposer qu’il a fortement dansé dans son jeune temps. »

Il chantait déjà quoi, Jacques Brel ? « Les bourgeois, c’est comme les cochons, plus ça devient vieux, plus ça devient… »

Texte retrouvé dans les archives du Grand Conseil par Joël Cerutti

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