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Dans son atelier à Saillon, Alain Perraudin et une vielle d’étude (plus un flyer: « Tu le laisses sur la photo! »)

Alain Perraudin, dernier luthier de vielle en Suisse, a réalisé un rêve vieux de vingt ans. Cet été, il a été admis au Festival Le Son Continu, La Mecque convoitée de sa profession. Dans ses cartons, un autre projet (d) étonnant : réaliser une vielle organisée, un défi qui pourrait lui prendre dans les 2 000 heures de travail. Tu sais quoi ? Même pas peur, il a ! Dans son atelier de Saillon, il retrousse ses manches, ses poils, sa barbe !

Flash-back de 21 ans avec Alain Perraudin. En 1998, sa mère le conduit à St-Chartier, pays de France. « À l’époque, il n’y avait pas internet, je ne pouvais pas savoir à l’avance ce qui m’attendait. Dans mon champ de vision sont entrées dans les 200 vielles : un choc ! » La maman donne une impulsion supplémentaire à son ado déjà fort fasciné par le métier. « Nous étions déjà à une période charnière, il y avait les dinosaures indétrônables du milieu qui osaient se moderniser ou restaient fidèles à une tradition. »  Dans les décennies qui suivent, Alain Perraudin baigne dans tous les courants pour se construire ses idées.  De traîner ses guêtres à St-Chartier non plus en tant que visiteur mais qu’exposant se posait comme « un rêve assez lointain ». Qui se rapproche avec le calendrier de 2019 où l’exclamation fuse en décibels dans son atelier de Saillon.

« Ben mon gars, tu y es ! Merde, comment tu as fait ??? »

Comment ? Parrainé par un de ses collègues, Alain Perraudin répondait aux conditions morales requises. Il possédait le juste talent pour être admis dans La Mecque absolue de la vielle aux côtés de 150 autres luthiers venus de toute l’Europe. Alain y défend seul les couleurs suisses car il reste l’ultime professionnel de ce métier en Helvétie (« Ce qui me chagrine »).

Au Festival Le Son Continu (11 au 14 juillet 2019), Alain débarque, honoré, ému avec un petit pincement au cœur car sa mère ne peut plus être à ses côtés. « J’aurais aimé qu’elle le voit… »

Le soleil qui tape met de la poussière dans le quotidien de son stand.

« Mes vielles étaient aussi sèches que le gosier d’un Valaisan à la Foire de Martigny ».

Une broutille de peccadille face au reste… « Tous les gars que je vénère, je les ai croisés. Les luthiers les plus doués sont les plus humbles. Le soir, je pouvais aller les trouver avec fromage et saucisson et je bénéficiais de leur savoir. » Au Festival Le Son Continu, nulle compétition mais un « esprit de laboratoire ». Les trucs et astuces se confient, se dévoilent.

D’autant qu’Alain se pointe avec un modèle conçu à Saillon qui dépote. Depuis notre dernière rencontre, en 2012 (cf. tome 1 du « Valais surprenant et (d)étonnant » – page 84), il a compris que le trop évolue parfois en handicap.

Le stand 2019 d’Alain Perraudin au Festival Le Son Continu.

Autrement formulé : « La simplification peut être un gain ! »

Techniquement décrit : « J’ai shooté tout ce qui était superflu… »

Avec un plan bien dessiné dans sa caboche : produire de la vielle d’étude « à outrance ». Dans les écoles, cet instrument où le novice s’entraîne manque à l’appel. « C’est une vraie pénurie », appuie Alain Perraudin. Sa pratique et « sa puissance de feu » lui permettent d’en réaliser entre… trente et quarante par an.

Il suffit d’assembler dans les 180 pièces. Une vielle normale en totalise en gros 700. Une vielle d’étude possède toutes les touches d’une classique avec une puissance de décibels qui ébouriffe à l’identique. Celles d’Alain résistent à tous les outrages. « J’ai un modèle « crash test » que j’ai soumis à la poussière, à l’humidité, à la chaleur. Il y a juste une touche qui s’est bloquée… durant deux heures. » Le bouche à vielle fonctionne dans le milieu et « depuis Ars, toutes les écoles de France savent qu’elles peuvent me passer commande… ».

Alain lève un peu la manivelle dans les animations musicales. « Je choisis mes fêtes, je fuis de plus en plus la foule, j’apprends à me préserver… » Ce qui lui libère un zeste de temps pour flirter avec le Graal : le projet d’une vielle organisée.

« Il s’agit d’un mythe dans le métier. L’instrument, qui tient dans une caisse de guitare, combine un jeu de vielle et celui d’un orgue. Tu dois pouvoir sortir un son de vielle, un son d’orgue ou les deux combinés ! » Alain estime le défi dans ses cordes car il associe des compétences de mécano, de luthier et de facteur d’orgue. « Je combine les trois… » Les plans en sa possession présentent un problème mathématique. « Il n’y a pas assez d’air pour que cela sonne convenablement… » Hanté par ce bémol, il ne lâchera pas le morceau. « Je vais d’abord construire un mannequin (sorte de prototype NDLR) qui répondra aux diverses questions… » Mannequin qu’Alain amènera fissa au prochain Festival du Son Continu.

« Cela me ferait schleu que quelqu’un me passe devant ! »

La tâche lui bouffera dans les 2 000 heures de labeur d’autant qu’il destine cette vieille organisée à un musicien qui possède l’oreille absolue. « En résumé, je construis un truc hypercompliqué pour un gars hyperexigeant ! » Dans le désordre organisé de son nouvel atelier, Alain planche en bonus sur une vieille standard aux motifs de poya… On y repère immédiatement des vaches qui s’envoient en l’air ou une violette (« Une Milka ! »). Le luthier glissera dans la rosace… une boîte à meuh ! « Oh ! Dis ! Si on ne peut même plus s’amuser ! »

Joël Cerutti

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