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Sur les vignes familiales de Montorge, Charly Wuilloud se revendique addict à la pierre sèche. Depuis sa retraite, il retape les murs et crée des terrasses avec vues sur la plaine valaisanne. Je n’aurais jamais pensé que le paradis sur Terre se construisait avec du granit !

 

Charly Wuilloud trace son chemin vif-argent entre les ceps qui ponctuent les pentes de Montorge. Ce mardi soir d’automne, il me montre sur les flancs de la colline les vignes familiales, celles qui produisent pour la Cave des Bouquetins. Elles appartenaient à son frère Marc, décédé. À présent, son neveu Romain – devenu vigneron – a repris le flambeau avec Isaline sa sœur œnologue.

« Nous avons fait un pacte, m’explique Charly Wuilloud après qui je cours avec le souffle d’un phoque asthmatique. Eux, ils gèrent la vigne et moi je m’occupe des infrastructures, de l’accès… »

Et c’est là que Charly me délivre un cadeau inimaginable : un moment d’éternité au cœur des pierres.

« Un passe-temps magnifique »

À l’État du Valais, il était le conseiller scientifique, spécialiste des dangers naturels. Dès sa retraite, voici 6 ans, Charly a pris des décisions fermes. Il n’irait pas errer d’un apéro à l’autre (celui de 11 heures, celui de 17 heures, celui des parties de jass en soirée).

« Je laisse ça à d’autres ! Je me suis offert un passe-temps magnifique. Mieux que ça, tu ne peux pas avoir ! »

Plutôt que l’addiction à l’alcool, il est tombé dans celle de la pierre sèche pour remonter les murs du domaine. « Je suis allé suivre un cours pour débutants à l’École d’Agriculture du Valais, Châteauneuf. Les premiers exercices pratiques c’était dans la neige, c’était superbe ! »

Ce B.A.– ba de la pierre sèche existe depuis 2004. En une dizaine de jours, tu te vois initié aux secrets de pierres de fondation, de construction, de remplissage et de couronnement. Sans liant aucun, cette technique draine, freine les érosions, soutient les tablards.

Dès lors, Charly applique ses connaissances à ce qui branle, dégringole, traîne dans les vignes de Montorge. « C’est un contrat que je me suis fait avec moi-même… » Il signe les yeux fermés et les mains plutôt actives.

« Dans un premier temps, uniquement pour enlever le lierre, ça m’a pris dans les 200 heures… » Aaaahh, cette petite plante grimpante qui prend des airs poétiques sur un mur… et dont les tiges qui grandissent si vite, séparent les pierres.

Recyclage local

Quasi au quotidien, quand il ne monte pas des cols sur son vélo, qu’il ne prend pas des cours de schwyzerörgeli (accordéon schwyzois), Charly fréquente l’endroit. « Le matin, je viens entre 6 et 9 heures. Je fais trois à quatre brouettes, c’est déjà assez crevant… » Ces blocs de calcite, granite, calcaire, il les ramasse aux alentours, il récupère local. Non, il ne pense pas avoir des reliquats du Château de Montorge, -incendié en 1417 – et dont certains éléments ont permis les naissances d’autres maisons au pied de la colline. Cette question…

Il ne casse rien, il assemble. « Au début, quand tu n’as pas l’œil, tu mets dix minutes à trouver la bonne pierre… » Puis l’habitude, l’expérience et l’instinct ont facilité le boulot. « Tu prends, tu mets et paf, cela va encore mieux que ce que tu ne pensais ! À la base, là, tu poses une longue, encore une longue, avec systématique, et cela ne bouge plus. Un mur, c’est comme une famille, cela doit avoir un bon équilibre, une harmonie. »

Seul et sans monde autour

Il me montre ses réalisations : ce mur qui s’étire à 4 mètres de haut, ces diverses niches de pierre, ces terrasses, ces pergolas qui accueillent le visiteur de la Cave des Bouquetins, cette guérite en l’honneur du grand-oncle, le mythique Henry Wuilloud.

De partout, des places à convivialité qui poussent au farniente de la raclette, du pique-nique sur le pouce, avec vues sur les Châteaux, avec ce fort sentiment éphémère d’être le Roi du Monde de la plaine valaisanne. Ces agapes nonchalantes se passent surtout le matin – « Le déjeuner peut durer deux heures » ou le soir où cela commence à 18 heures et se termine à 2 de l’autre jour. À part les renards et les blaireaux, les alentours immédiats sont vierges de voisins humains.

Entre deux, vers les midis, tu mets une croix dessus. Car tu comprends pourquoi la colline de Montorge se flatte d’avoir une végétation méridionale. « Les pierres sont si chaudes que tu te brûles presque… »

Charly partage le plaisir et garde le travail pour lui. « Une fois, j’ai eu durant un, deux mois, un neveu avec moi. La plupart du temps, je suis seul et il n’y a personne autour… »

Quand même, il y a eu un épisode d’équipe, un moment très aérien.

« La table en mélèze où l’on se tient, elle m’a été fournie par le Service forestier de la vallée de Conches. La première fois, je l’avais reçu sur une des terrasses de la vigne. La seconde, ils sont arrivés, pas question d’ouvrir une bouteille de Fendant tout de suite. « Avant, tu dois nous dire où tu veux ta table ! Et vite ! L’hélicoptère d’Air Glacier décolle à 13 h 55. » La table fait dans les 700 kg et ils me l’ont offerte, j’avais la larme à l’œil… »

Une histoire de famille

Il n’en revient pas de sa « vie extraordinaire », il se réjouit des fêtes qu’engendrent les vendanges. Quand il me serre la main, après deux heures d’échanges, il précise : « Tu ne mets pas en avant dans l’article, hein, c’est vraiment une histoire de famille ! »

Devant mon écran, j’ai essayé toutes les figures de style sans arriver à scinder la passion de l’individu. Grâce à toi, une technique dont les premières traces remontent au XVIe siècle perdure. Nous avons 3 000 kilomètres de murs en pierre sèche en Valais, ils tiennent grâce à des volontés comme la tienne.

J’espère que tu ne m’en voudras pas, Charly.

Joël Cerutti

 Site : https://www.cavedesbouquetins.ch/

Jusqu’au 30 novembre 2019: exposition sur Henry Wuilloud au Musée du vin, à Sierre.

Cet article est là pour te convier à un art de vivre, transmets-le sans modération !