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Gravir la montagne d’un roman, c’est examiner toutes les voies possibles avant de s’y attaquer. Sinon tu risques de décrocher. Cela m’est arrivé bien des fois avant « Mais des choses pareilles ! » ou « Fingen ».

Très longtemps, je me suis planté. Je commençais la rédaction d’un livre, cela partait bien, puis le soufflet retombait, raplapla et molachu de substance. Je devrais avoir deux ou trois cadavres de polars avortés dans mes placards. Je m’étais fait à l’idée que mieux valait rester dans les formats courts au lieu de me casser le piolet sur cet Everest où, à force de grimper, je finissais sans oxygène.

Puis j’ai trouvé où ça clochait.

Je partais comme un couillon de Winkelried me faire transpercer en première ligne. Sans stratégie, pas de plans, comptant sur les facilités de mon imagination. Bien gentil-joli sauf que cela ne suffit pas et que tu te rétames à chaque fois. Je me suis remis sur les bancs d’école, j’ai écouté ce que faisaient les autres, j’ai suivi des Masters Class.

Et j’en suis sorti avec des outils.

Les meilleurs m’ont été fournis par Bernard Werber qui compare livre et corps humain. Pour que cela fonctionne, cerveau, cœur, poumon, estomac doivent être reliés. Coucher sur quelques feuilles A4 un plan de l’histoire, c’est redoutable. Immédiatement émerge ce qui marche et où ça claudique. Les scènes s’enchaînent, se visualisent et tant que c’est fluide, la dynamique conserve son élan. Dès que ça péclote, se posent les questions nécessaires : là, ça rame, pourquoi ? Comment mieux amener ? Qu’est-ce qu’il faut creuser ? Où placer ce retournement ? Où mettre un twist qui chamboule le lecteur ?

Cela me réclame du temps. Des semaines, des mois. Revenir sans cesse avec ton rabot pour éliminer les échardes, que la veine du bois s’écoule dans le sens décidé. Moi, perso, cela me rassure. Bétonnée dans l’intrigue, l’écriture devient une partie de plaisir. Mais vraiment ! D’autant que le plan n’enferme rien. Au contraire, des éléments t’échappent, des personnages font leur intéressant, ils prennent des chemins inattendus. Et cela ne met jamais le boxon, car la direction est fixée, le cap se garde, tu louvoies juste un peu plus. Parfois, même en cours de navigation, tu retraces des itinéraires.

« Fingen » m’a mitonné des surprises géniales dans sa dernière partie, prévue pour être vachement plus calme à la base.

Trop pépère. J’ai pris l’option inverse avec un retournement de situation qui m’a étonné moi-même personnellement dans les deux ultimes chapitres. Déjà que, d’emblée, j’avais changé le sexe d’un personnage principal et, en bonus, j’avais trouvé qu’un autre méritait un sort plus enviable que celui initialement décidé quitte à en charger d’autres. Tu vois ? Le plan n’impose aucune contrainte et offre des libertés magiques. L’important, c’est de garder l’énergie. La tête, le guidon, la route, ne penser qu’au chapitre suivant, les enchaîner et remporter le Tour de Force avec le mot « Fin ». Après, tu retailles, tu chipotes, tu élimines, tu affines. Mais tu y es arrivé, au sommet de l’Everest. Reste à le redescendre sans te casser la gueule. Ça, c’est pour la prochaine fois.

Joël Cerutti