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Alexis Allet qui a régné sur les petits sous du Valais durant 13 ans…

 

Le 12 janvier 1871, la BCV part en faillite. Les contribuables devront éponger 5 millions de dettes ! Le ministre des finances, Alexis Allet -surnommé « Le dictateur » – entraîne dans sa chute tout le gouvernement.

Rien ne va plus à la BCV ! Réuni en assemblée plus qu’extraordinaire, le 27 décembre 1870, le Grand Conseil constate les dégâts. A peine quinze ans d’existence, pour la BCV, et c’est la Grande Déconfiture ! Depuis six ans, les libéraux s’inquiètent de la gestion et des rapports entre l’Etat, la BCV et surtout de la façon dont le ministre des finances, mène le bal.

Des sous de l’époque.

Il s’appelle Alexis Allet et, depuis 13 ans, ce stakhanoviste de pouvoirs fait la pluie, le beau temps, la grêle, la neige dans le canton. Il s’est glissé partout où il pouvait régner : aux postes de président, vice-président du gouvernement (logique). En plus de siéger au Conseil d’Etat, il trône au Conseil national et encore au Tribunal fédéral. Il réalise des missions diplomatiques sur Paris tout en dirigeant la commune de Loèche. Tu as cerné la Bête Politique ? Je continue…

«Un coup mortel à notre crédit»

Le 27 décembre, le Conseil d’Etat implore au Grand Conseil l’autorisation d’emprunter deux nouveaux millions auprès de banques bernoises et bâloises.  «Ce que nous demandons est tellement lié à l’honneur du canton, à la réputation d’un établissement fondé par l’Etat et aussi par nos concitoyens, que le Grand-Conseil n’hésitera pas à l’accorder ; ne le faisant pas, il mettrait la Banque hors d’état de remplir ses engagements, il ébranlerait jusque dans ses bases la confiance publique en nos institutions et porterait un coup mortel à notre crédit, ce que la première autorité du canton ne peut vouloir.»

Eh bien, côté secousse, l’échelle de Richter cantonale en perd quelques barreaux sous le choc!

Des conditions humiliantes

Encore des petits sous de l’époque.

Une commission et bien d’autres députés jugent les conditions de l’emprunt «trop onéreuses et partant inadmissibles». M. Pignat, un libéral, monte au créneau. «Ces conditions sont humiliantes pour le pays et la liquidation de la Banque serait préférable à leur acceptation. Nous serions liés pendant 36 ans par le fait que le remboursement ne pourrait se faire intégralement avant ce terme et que la régale du sel et le produit de l’impôt seraient engagés en garantie».

Dénériaz embraie et s’en prend à Alexis Allet. «Après avoir ainsi voulu dégager sa propre responsabilité, il conclut en invitant le Grand-Conseil, à voter l’emprunt ruineux que lui propose le Département des Finances, à engager ainsi le pays tout entier, les yeux fermés, sans sonder au moins d’avance la profondeur du gouffre dans lequel le pays va se plonger.»

M. Allet se drape dans sa dignité, sort un «J’accepte les reproches, mais je repousse les insultes… » puis colle sa démission le 28 décembre 1870.

«Où sont allés les millions ?»

Le Grand Conseil refuse l’emprunt des deux millions et demande une assemblée générale pour la BCV, le 12 janvier, qui met en faillite l’établissement.

Toujours des petits sous de l’époque.

Devant l’ampleur du scandale – et après les conclusions accablantes d’une commission d’enquête – le reste du Conseil d’Etat doit quitter ses fonctions. Sur le fond, les sieurs étaient fort heureux de laisser quartier libre à leur ministre des finances tout en jouissant des avantages liés à leurs fonctions. Sur le long terme, ça se paie… autrement.

«Nous faisons les voeux les plus ardents pour que le peuple valaisan retrouve sous une autre direction des jours de calme et de bonheur qui donnent toujours la foi et l’amour du travail », écrivent, le 1er juin 1871, les déboutés MM. Ribordy, De Sepibus, De Riedmatten et Debons.

Entre janvier et décembre 1871, Le Confédéré se déchaîne avec une plume assassine et fort documentée.

Quelques extraits et aperçus d’une vraie revue de pestes si peu respectueuses : «Le voile est enfin déchiré! Le jour est arrivé où chacun devra rendre compte de ses actes ; où les prévaricateurs de la loi et les détenteurs de la fortune publique et des particuliers seront appelés à la barre de l’opinion publique, avant qu’ils comparassent devant les tribunaux.» (5 janvier)

«Le Canton du Valais (…) a failli être précipité dans l’abîme par l’homme du génie qui, depuis 1852, tenait presque sans contrôle les destinées du pays dans ses mains, puis écrasait ses adversaires politiques et avait soin de se poser en défenseur de la morale de Dieu. Cette catastrophe apprendra à nos chers voisins du Valais à avoir les yeux tournés plus du côté de Sion que du côté de Rome, et à enseigner à la jeunesse aussi bien à chiffrer qu’à prier ». (Le Messager des Alpes – Cité par le Confédéré le 8 janvier)

«Où sont allés ces millions ? On prétend que les fonds de la banque ont été mis à contribution par centaines de mille francs en faveur de certaines entreprises privées et de certaines familles privilégiées, et que les meneurs n’étaient plus en position de s’opposer efficacement et avec autorité à d’autres désordres ». (Le 22 janvier).

Une caisse noire avérée

En face, La Gazette du Valais et Le Botte tentent de défendre l’honneur d’Alexis Allet et sa gestion… Ce qui sera difficile aux yeux de l’Histoire qui donne raison au Confédéré. Le gouvernement conservateur du moment, aidé par Allet, a utilisé la BCV comme une «caisse noire » de parti. «Elle sert d’instrument politique pour caser des amis, spéculer, aider aux campagnes électorales », commente Alain Clavien dans « Histoire du Valais », tome 3, p.588.

Droit dans ses bottes, Alexis Allet se justifie en ces termes « Si j’ai péché par confiance et légèreté coupable, je n’en ai point bénéficié et je quitte le pouvoir avec moins de ressources encore que j’en avais en y entrant» Le Dictionnaire Historique de la Suisse tente aussi de redorer le blason d’Allet. Il attribue la banqueroute de la BCV « à la confiance naïve » du brave Alexis.

Cela fait longtemps que vous n’avez pas vu des petits sous de l’époque.

Déjà à l’époque, le gouvernement avait mandaté un expert comptable genevois, M. Kürner. Son rapport éclaire une mécanique financière et politique qui connaîtra quelques clonages dans le siècle suivant…

« La plus grande faute commise, et celle-là a été commise par le Grand Conseil lui-même, c’est d’avoir nommé pour ainsi dire à perpétuité le chef du Département des finances président du conseil d’administration… On a ainsi lié intimement la Banque à l’État et l’État à la Banque. »

Le canton du Valais se retrouve avec une dette de 5 millions et 53 millions de rescriptions distribuées. Tout le Conseil d’Etat sera néanmoins blanchi un peu plus tard, Allet y compris. Comme on dit dans «Intouchables » : «Pas de bras, pas de chocolat ». Ce qui donne chez nous : «Pas de majorité de l’opposition, pas de sanctions ».

 Joël Cerutti

Avoue que cette page de l’Histoire valaisanne t’était un peu, beaucoup étrangère! Acquitte-toi de cette dette en faisant circuler abondamment cet article.