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Unique et avec sans doute la plus vieille inscription connue en Valais, le Mur d’Hannibal s’est visité jusqu’au 24 août. Il s’agissait de balades-test avant une indispensable valorisation de ce patrimoine. Cet article complète les pages 63 et 64 du « Valais surprenant et (d)étonnant », tome 1, paru en 2013. Juste pour dire que mes intérêts peuvent aussi être datés au carbone 14 !

 

Depuis l’Alpage de Cœur, le tien pulse et pompe. Il connaît 460 mètres de dénivelé pour atteindre le « Mur d’Hannibal » perché à 2 643 mètres. Aurélia Basterrechea, archéologue, l’avoue. Faire ce mur-là, ça se mérite quand même un chouïa de petit peu sur les bords des sentiers valaisans.

« La première fois que je me suis rendu sur place, je n’étais pas tout à fait entraînée et je reconnais avoir souffert… », concède-t-elle en souriant. Je tempère ce pseudo « calvaire » car le samedi 17 août 2019 plus de vingt personnes, âgées de 7 à 70 ans, ont suivi Aurélia Basterrechea et un accompagnateur de moyenne montagne. Après une balade d’une heure et trente minutes, aucun poumon n’est resté sur les lieux de ce génialissime site archéologique valaisan. « L’ambiance était très conviviale et les retours positifs », garantit Aurélia.

Le Mur d’Hannibal, mais encore?

À ce stade de l’article, je stoppe la machine et je laisse souffler le temps de cette phrase. Tu n’as pas lu le premier tome du « Valais surprenant et (d) étonnant » (Éditions Slatkine, 2013), ses pages 63 et 64 ? Je te sens perplexe et paumé.e. Le « Mur d’Hannibal », késako-mais-encore ?

Aurélia Basterrechea, le mardi 20 août 2019 à La Vache qui Vole, reprend son souffle entre deux vives et riches explications.

Par pure fainéantise, je délègue à Aurélia Basterrechea, responsable de la médiation du site et membre de l’association Ramha, une mission de synthèse. Tu la lances sur le sujet, lors de notre rencontre à « La Vache qui Vole » de Martigny ? Elle te met en orbite des milliers d’infos dans la sphère de tes connaissances…

Réglons déjà son compte au nom « Mur d’Hannibal » sans doute appelé ainsi par un chanoine érudit du XIXe siècle.

Hannibal n’est jamais passé dans les parages (entre la Pointe de Toule et le Petit Combin, Liddes, Entremont). Sur le terrain, il s’agit d’un mur qui s’étire sur 270 mètres en pierres sèches. « Après trois saisons de fouilles, entre 2014 et 2016, nous avons pu collecter des informations plus détaillées sur ce lieu unique en Valais. » Le mur délimite un espace protégé où, au fil des périodes, une trentaine d’abris se sont pressés.

Abris, cela signifie cabanes, foyers et restes alimentaires qui sont apparus au fil des tamisages méthodiques. Grâce au charbon de bois, plusieurs datations au carbone 14 délivrent des dates : entre -150 et 50 après Jésus-Christ. Cette période chevauche deux civilisations : celte et romaine. Deux cultures qui se sont par ailleurs affrontées. Jules César n’est pas très fier d’annoncer dans sa « Guerre des Gaules » la pâtée que sa légion prend en Valais en – 57, lors de la bataille d’Octodure, face aux Véragres et aux Sédunes. « Il aurait même tendance à la minimiser », s’amuse Aurélia Basterrechea.

Bref, autour du Mur d’Hannibal, les clous de chaussures, les écailles d’armure romaine, des morceaux de céramique, les fibules et même une serpe doivent encore « parler » D’autant qu’on s’aperçoit que l’édifice pourrait faire partie d’un dispositif de contrôle militaire. Il est placé en « contact visuel » avec des constructions similaires dans le Val d’Aoste. Les conjectures et hypothèses détaillées se regrouperont dans une publication en 2020 ou 2021, les archéologues savent prendre leur temps avec notre passé…

Un tag pour Poeninus, le plus vieux du Valais

L’inscription découverte en 2005. Photo Terra

Il reste le meilleur pour la fin, histoire que vous ne restiez pas sur la vôtre : l’inscription « poenino ieu » à caractères lépontiques sur le Mur d’Hannibal. Ce « tag », comme le présente la RTS en 2017, dit « J’offre à Poeninus » (le dieu celte des sommets), dans une écriture qui mélange alphabet celte et romain. Une faute, un « R » inadéquat, prouve son authenticité. Cette écriture qui remonte à 2000 ans et ferait la plus vieille inscription connue en Valais. Elle démontre aussi que les Romains auraient engagé des auxiliaires celtes dans leur entreprise de colonisation. Une façon plus douce de prendre possession du Valais, ce qui sera le cas dès – 15 avant J.-C.

Aujourd’hui, Aurélia Basterrechea et ses collègues de Ramha inaugurent des balades-tests. Il s’agit d’initier des sentiers didactiques qui valorisent ce patrimoine archéologique. Ils brassent « histoire, environnement et géologie ». Une application pourrait aussi voir le jour même si, par bonheur, le réseau se révèle quasi faiblichon à cette altitude.

Sur les premiers questionnaires de satisfaction du 17 août 2019, les randonneuses et randonneurs ont indiqué qu’ils aimeraient mieux qu’on parle de Mur « dit » d’Hannibal que Mur d’Hannibal. Un sens de la précision qui « dit » tout…

Joël Cerutti

Photos: Aurélia, Joëlle Vicari et PYN.

PS : Visitez le site très complet sur la question : http://www.ramha.ch/

 

Ce site est un partage de passions autour du Valais. Plus les articles circuleront, plus www.valaisurprenant.ch se développera.