J’ai mis en page « Fingen » et j’ai transpiré dans la joie. J’avoue aimer plus que tout suivre et maîtriser la conception d’un livre dans ses aspects concrets. Une hégémonie qui responsabilise !
Le bruit de l’imprimerie offset, que ce soit celle de l’ASLEC (Sierre) ou celle du Centre de Recherches ‘Périphériscopiques (Oleyres) fait partie des « musts » de ma mémoire auditive.
Le tchac, tchac, tchac qui marquait le passage de chaque page est le plus doux des rythmes.
Très très tôt – mais alors plus que très tôt : 1975 – j’ai appris que l’écriture avait plusieurs dimensions. La première, c’est évidemment toute la partie créative, l’idée, sa structure, son écriture et son point final.
Parce que, à un moment donné, il faut bien le poser.
Et ensuite se présentait sa partie « physique ». Son impression, sa reluire, son rognage, son expédition…
Dès l’âge de 12 ans, j’ai été initié à l’offset. J’ai appris à réaliser les plaques métalliques, regarder comment les poser, l’encrage, puis imprimer. L’odeur de l’encre fraîche enchantait mes narines. J’adorais mettre la main à cette pâte car elle englobait la réalisation d’un projet de A à Z. Chaque étape ajoutait au plaisir de voir sa concrétisation.
Passer des heures dans l’assemblage manuel des pages, les agrafer, coller la couverture, passer l’objet au massicot puis glisser le livre, le journal, dans une enveloppe pour qu’elle parte dans la boîte aux lettres d’une lecteur : quoi de plus normal ?
L’intellectuel et le manuel qui se roulent des pelles? Inscrit dans mes gênes d’ado! Cela ne m’a plus quitté.
Encore moins avec l’émergence des logiciels de mise en page. Grâce à plein d’aides, je touchais ma bille en QuarkXPress dès le début des années 90. J’arrivais ainsi à gérer mes écrits dans leur globalité. Je partais du principe que la délégation engendre souvent des filtres qui génèrent des erreurs ou des frustrations.
Grâce à ça, j’ai pu repérer les graphistes qui s’impliquaient et ceux qui s’en foutaient. Il y a celles et ceux qui gèrent les textes comme des masses de gris et d’autres qui lisent les textes et savent les mettre en valeur.
Dans la quinzaine de livres que j’ai rédigés, j’ai eu tous les cas de figure.
Du sublime – « Suisses mer », chez Favre, représente le nec le plus ultra – comme du basique. Parfois je m’y suis collé devant la mollesse fonctionnarisée d’une première maquette.
Avec « Fingen », j’ai dû apprivoiser un nouveau logiciel – InDesign – et surtout, avec humilité, approcher la fausse sobriété du texte pur. Sans photo. Avec uniquement la typographie comme vêtement. Tout ce que vous croyez comme évident ne l’est pas. Et rien ne doit se voir, tout doit paraître aller de soi.
J’ai transpiré dans cet apprentissage car il mettait à nu la réalisation des pages. Grâce à des conseils avertis, j’ai pu poser des bases sur lesquelles je n’aurai jamais fini de m’échiner.
« Fingen », que j’assume par tous ses aspects, m’a demandé de carboniser ma zone de confort.
Des aides de ceux qui savent m’ont permis d’éviter de grosses conneries et celles qui restent sont de mon fait.
Jeudi passé, par La Poste, les premiers exemplaires m’ont confirmé que, tout aussi perfectible ce labeur puisse être, il tenait la route. En le feuilletant attentivement, je ne suis pas tombé sur LA grosse connerie, ce furoncle sur le visage d’une pin-up, que tu ne vois que ça et que tu oublies le reste.
Je me réjouis de m’y recoller pour trouver les trucs, astuces et combines qui m’ont échappées dans cet artisanat. Mais, crois-moi, pouvoir revendiquer dans sa globalité une réalisation, est une douce responsabilisation. Ce qui motive pour porter le flambeau plus loin encore…
Joël Cerutti