Sélectionner une page

1812 : Napoléon a voulu imposer aux Valaisans l’usage de la guillotine pour les exécutions capitales. Le moins que l’on puisse dire, c’est que cela a complètement foiré. Chez nous, quand ça ne veut pas, ça ne veut vraiment pas. Foi de tête de mules qui ne veulent pas être coupées !

 

Comment dit-on « Ta gueule ! », plus ou moins diplomatiquement, à un peuple ? Cela se passe en un tour de main et de plume, le 12 novembre 1810. L’encre noire et l’Empereur Napoléon ordonnent sur le papier : « Le Valais est réuni à l’Empire ». Le général Berthier prend possession d’un territoire dont les chefs croyaient, jusqu’alors, qu’ils pouvaient le diriger en République indépendante. Cela ne se négocie plus, il n’existe pas d’échappatoire, cela se subit, il n’y a plus qu’à la boucler.

Tableau pompier représentant Napoléon franchissant le Grand St-Bernard.

Le Valais, rebaptisé « département du Simplon » entre dans la joyeuse communauté des 130 autres départements français. Les décisions, quelles qu’elles soient, sont centralisées à Paris. Sur tout le territoire, les exécutions des criminels répondent à des critères uniformisés. Un décret impérial du 18 juin 1811 n’omet aucun détails concrets et indique avec quoi occire les malandrins. À savoir : « Un grand échafaud pour les exécutions à mort, avec un réservoir doublé en plomb », un petit échafaud pour les expositions, des carcans « avec leurs boulons, écrous, chaînes et cadenas », et, on s’en doute « une machine à décapiter avec ses accessoires ».

Une guillotine, en somme et en résumé.

Le texte officiel prévoir aussi « des paniers d’osier, doublés en cuir », des balais, des cercueils, des chemises rouges, du sable, de la graisse du savon, etc. Des options incontournables pour que fonctionnent ces machines à trancher les cous d’un seul coup. En théorie. Car – ô axiome répétitif – la pratique de la guillotine présente quelques bogues d’époque qui rendent les engins capricieux. Les lames se coincent, l’assemblage rejoint en complexité les Mécanos et surtout c’est plutôt long à construire…

Comme un esprit peu coopératif

Le décret du 18 juin 1811 prévoit que la guillotine sévisse dans les 130 départements dès janvier 1812. Mais il y a des facteurs imprévisibles qui te bousillent n’importe quel business plan, dont la mauvaise volonté. Une spécialité que pratiquent les Valaisans vis-à-vis de Napoléon dans bien des domaines. Le premier bémol s’avère basique : qui pour construire, chez nous, ce bel engin de morts programmées ?

La réponse semble évidente : personne !

Le préfet du département du Simplon, M. Claude-Joseph-Parfait Derville-Maléchard, qui cherche des artisans volontaires, sent très vite sa motivation s’émousser. « Une rapide exploration des ressources locales l’avait convaincu de leur insuffisance (ou, ce qui revenait au même, de l’invincible répugnance qu’éprouvaient les rares artisans du Valais à entreprendre une telle fabrication) », constate Walter Zurbuchen dans l’édition de 1972 des « Annales valaisannes » et son article « La guillotine du département du Simplon ». Derville-Maléchard en appelle à l’aide son collègue Guillaume Capelle, préfet du Département du Léman en novembre 1811. Avant de lui adresser « ses sentiments affectueux », il lui refile la patate chaude, lui demandant de lui fournir « les objets nécessaires pour l’exécution des arrêts criminels ». L’injonction est prise sous l’angle de « Cause toujours, tu m’intéresses… » par Capelle. Un bide : rien ne bouge d’un poil de narine.

Un procu impérial qui s’impatiente

 

Le procureur impérial criminel du département du Simplon, M. Jean Marie Achard-James, s’impatiente en mars 1812. Il brûle d’envie d’utiliser son nouveau joujou punitif. Il met sous pression Derville-Maléchard qui délègue au sous-préfet de Borgo San Donnino la rédaction d’une lettre quasi similaire à la première avec toujours comme destinataire identique, le préfet Capelle. Cela produit son effet. Un mois plus tard, Joseph-Louis Brolliet, architecte, apporte les plans précis d’une guillotine début mai 1812. Ils concernent les deux engins destinés aux départements du Simplon et du Léman. Jean-François Boiteux « entrepreneur des bâtiments de la Place de Genève » s’engage à les construire pour la modique somme de 1 290 francs. Comme il est seul à soumissionner, il a dû se faire plaisir côté facture.

Depuis Sion, le procu impérial Achard-James trépigne, il ne transmue plus son mal en patience, il veut savoir s’il pourra disposer de « sa » guillotine dès le 25 mai. Ce à quoi Capelle rétorque qu’il rêve debout. D’autant que le ministre de la Justice n’a pas approuvé le projet, trouvant des doublons d’accessoires dans la liste qu’il avait dressée lui-même !

878 frs 70 centimes, « peinture comprise »

Autorisation est donnée le 18 juillet 1812 par le préfet du Léman pour la construction. Jean-François Boiteux s’attelle à la conception de la « valaisanne » pour 878 francs et 70 centimes, « peinture comprise ».

Comme prévu, Boiteux tient avec peine des délais de fabrication. Il est pressé le 4 septembre, puis le 10 octobre par le Préfet du Simplon de se magner un tantinet. Le 12 novembre, alléluia, « les instruments de justice criminelle » quittent Genève pour Sion sur une voiture « fournie par le sieur Vicat, maître de poste ». Il devra être payé 160 francs car il s’est engagé d’arriver « avant le 20 novembre ». Boiteux est du voyage « pour le premier établissement de la machine ». L’acquittement des 878 frs 70 tarde car le ministre de la Justice n’accepte que le 26 novembre « ce qui avait été fait » et, en janvier 1813, Boiteux n’a pas encore palpé le moindre centime. Boiteux s’y connaissait par ailleurs en la matière : il avait conçu en 1799 déjà la première guillotine qui allait fonctionner 39 fois sur Genève.

Et en Valais ? Comme les troupes françaises abandonnent l’ex-département du Simplon en décembre 1813, il semblerait qu’elle n’ait pas du tout servi ! Aucune trace de crânes valaisans qui roulent dans des « paniers d’osier doublés en cuir ».

La guillotine disparaît complètement de la circulation.

La dernière trace que l’on ait d’elle date d’octobre 1814 où un particulier écrit aux autorités valaisannes. Il réclame qu’on lui paie un loyer pour l’engin entreposé dans un de ses locaux !

Ne crois surtout pas que nous étions des enfants de cœur. Chez nous, on préférait manier le glaive à deux tranchants. La dernière exécution capitale date du 28 février 1842, à Sion, celle de Marie-Thérèse Seppey, François Rey et Barthélemy Joly, devant 10 000 personnes (alors que Sion comptait 3 000 habitants). En Suisse, la guillotine a été utilisée dans divers cantons (Zoug, Obwald, Lucerne, Fribourg, notamment), entre 1835 et 1940. Chez nous, la peine de mort civile est abolie en 1942. Quelques têtes d’avance sur la France qui se décidera en 1981…

Joël Cerutti

Tu pourrais aussi aimer:

“Bons baisers de la morgue du Grand-Saint-Bernard”!