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Après une vingtaine d’ouvrages (« Le Zèbre », « Fanfan », « Le Zubial », ), Alexandre Jardin abandonne une certaine image de lui.

Avec « Le roman vrai d’Alexandre », Alexandre Jardin carbonise son masque d’affabulateur du réel ou de fictions. On y apprend que tout a débuté dans la station de Crans-Montana. Comme nous sommes à l’heure des vérités, moi aussi j’ai joué un rôle face à Jardin que je n’ai pas osé assumer par la suite !

La seule fois où j’ai interviewé Alexandre Jardin, je me suis censuré. J’ai mené un entretien de façon plutôt trépidante et cela s’est soldé par un trop sage résultat. Calme. Sympa. Nettement moins marrant que la rencontre en elle-même.

Appâté.e par ma bande-annonce ? Je détaille la chose et dépèce la chronologie.

Début décembre 1996, Alexandre Jardin propose sur grand écran sa deuxième réalisation cinématographique : le film « Oui » qui porte comme sous-titre « Il n’y a pas que le sexe dans la vie ».

Dans l’intrigue s’interpénètrent (oui, je le fais exprès) des considérations de neuf potes autour du vit, de la mort et des vaches (là, je n’en suis plus certain).

Journaliste culturel au Nouvelliste, je n’hésite pas une microseconde lorsque tombe la possibilité d’une interview sur Genève avec Jardin Alexandre.

Je connais, j’ai lu, j’apprécie le sieur

Quitte à interroger un gentil chtarbé autant adopter un mode rigolard. Je cale donc mes questions sur des objets que je choisis de lui donner durant la conversation. Ils sont liés aux thématiques du film « Oui ». Entre autres sur la libido. Un exemple pour que tu piges la mécanique du procédé ? Le jour de l’interview tombe sur la Saint-Nicolas, qui dit Saint-Nicolas répond « verge » donc, sérieux au possible, je pose sur la table, face à Jardin, une authentique verge de Saint-Nicolas que je lui offre, sérieux comme un pape.

Avec les possibilités de rebondissements autour de la chose que je te laisse imaginer. Et encore tu seras en dessous de la réalité.

Le jour J, Alexandre Jardin pétille des yeux, se marre, me traite plusieurs fois de « dingue », j’apprécie le compliment, tu penses !

Mais… Quand je rentre à Sion qui c’est-y qui est emmerdé ?

C’est bien beau de jouer au mirliflore émancipé! Comment utiliser la matière de base dans un journal alors plutôt catho, pétrifié sur les choses de la zigounette, sans m’attirer les coups de verge de la moralité ambiante ?

Je filtre à mort, j’écarte, je n’indique même pas le coup des objets et cela aboutit à un papier certes agréable mais qui plombe d’une épaisse capote ce qui avait été échangé. (Clique pour lire Oui, interview Alexandre Jardin c’est tiré des archives du Nouvelliste, parution vendredi 13 décembre 1996…)

Dans le mouvement, j’avais claqué une photo de Jardin avec mon Minox, un portrait en noir et blanc, que je lui expédie par courrier. Je n’espérais pas d’accusé de réception, je n’en ai jamais eu. Au final, je m’étais donné un rôle que je n’avais pas osé tenir jusqu’au bout. Je n’avais pas triché sur ce que j’étais. Je m’étais dégonflé dans le processus.

Alexandre Jardin escalade un chalet à Crans-Montana (?)

L’année suivante, « Le Zubial » investit les librairies. « Le Zubial » aurait été le surnom de Pascal, père d’Alexandre. L’ouvrage dresse sa geste délirante et comment Alexandre remarche parfois dans ses traces. Bonheur suprême de ventrebleu, Alexandre Jardin y parle de ma contrée, mon pays, mon ADN géographique, le Valais. Exemple en page 50 où tu pouvais découvrir ceci…

« Il m’est arrivé d’aimer des femmes uniquement pour plaire à mon père, alors qu’il n’était plus là. C’est ainsi qu’à 17 ans, j’ai moi aussi sauté dans le lit d’une dame exagérément belle, très mariée et follement enthousiasmante au lit. Sans les audaces du Zubial, jamais je n’aurais escaladé la façade de son chalet de Crans-sur-Sierre, en Suisse. (…) Son époux était absent, un banquier genevois qui allait à son insu sponsoriser mes folies pendant quelques mois. (…) Dire que je fus totalement moi-même en la culbutant serait mentir. Ce soir-là, je fis l’amour en mémoire de mon père. »

J’appréciais l’acte, je l’ai exploité dans des articles dédiés à la littérature et le Haut-Plateau.

Et puis, en l’an 2019, Alexandre Jardin passe à confesse dans « Le vrai roman d’Alexandre… ». Il ne s’épargne pas dans la flagellation, comme s’il avait gardé ma verge de Saint-Nicolas offerte en 1996. Au sujet du « Zubial », les couches d’invention tombent.

« À coups d’excès qui dilatent les instants, j’augmente sa longévité d’outre-tombe (Pascal Jardin est mort le 30 juillet 1980). Branle-bas dans mon imagination ! Il faut que jamais la norme n’ait raboté Pascal Le Magnifique ni qu’aucun lissage moral n’ait érodé sa vitalité. » Bref ceci porte à croire que la page 50 du « Zubial » serait du pipeau joué sur le Haut-Plateau.

Crans-Montana, station départ de l’usurpation

« Le vrai roman d’Alexandre » ne quitte pas pour autant « Crans-sur-Sierre ». Car cette station marque purement et simplement le départ de sa « réputation qui devient une usurpation ». Avec une décapante franchise, Alexandre concède n’avoir que dalle et pouic en commun avec ses romantiques personnages, ceux qui montrent tant de panache dans leur cavalcade sentimentale.

Lui, cela aurait plutôt tisane de verveine, charentaise de la bête à deux dos et inventions sur la biographie familiale. Et il te le rédige noir sur blanc en ces termes.

« C’est l’été 1985, à vingt ans, que je sombre dans l’imposture littéraire, écrit Jardin en page 100. En juillet, je suis alors moniteur de colo en Suisse, à Crans-sur-Sierre. À l’heure de la sieste des enfants dont j’ai la charge, j’écris dans ma chambre étroite le premier jet de « Bille en tête ». Je me dépossède de ma personnalité propre, m’absente de mes sensations et me jette à corps perdu dans une biographie de rechange, pétaradante. »

Giovanella, la jeune mère italienne des « deux minots » que garde Alexandre, semble se montrer réceptive à ses charmes ?

Alexandre le Grand dans ses pages en reste Petit d’inaction réelle « alors que mon héros de papier s’accorde tous les culots offensifs ».

Que cette belle à « la croupe d’excellence » lui glisse (en plus !) son numéro de téléphone privé ne change rien à sa passivité. « Pondre un roman m’est tout de suite apparu comme une vie par-dessus la vie. En écrivant, j’ai appris à ne pas faire jouir Giovanella. »

Alexandre entamait « l’oubli » de soi sur trois décennies ainsi qu’une nette propension à enjoliver une réalité qu’il prétendait ensuite être authentique.

Bambocher à Verbier

« Le Roman vrai d’Alexandre » s’offre une seconde incursion en Valais. Alexandre Jardin révèle une vraie liaison hors-norme entamée dès 1990, sur Genève, avec la journaliste Ariane (Ferrier). Il claque une fortune en billets d’avion, il ne le regrette pas. « Je me ponce, me forge et me lime à son authenticité. Ariane ne veut pas les zones molles de mon caractère. » Cette « intense vérité » favorise les excentricités. « Rieuse, Ariane m’accoutra un jour d’un gilet de peluche écarlate, d’une culotte courte tyrolienne et d’un habit soutaché d’or pour aller bambocher à Verbier. »

Sans le savoir, dans cette autre référence géographique, Alexandre commet un impair de lèse station.

Il était d’usage en ces temps ancestraux de choisir son camp. On ne pouvait être de Crans-sur-Sierre ET de Verbier, la monogamie de vallée était préconisée.

 Je rends grâce à Alexandre Jardin de la sincérité de son « Roman vrai » car elle me permet moi aussi de me resynchroniser dans mes vérités. J’ai adopté un rôle durant notre interview de 1996 que j’ai eu les flopettes de tenir. Alexandre ose se mettre en pièces aujourd’hui pour commencer à se reconstruire. Une attitude indispensable à tout homo sapiens en quête de salutaire lucidité.

Joël Cerutti

Photo Pierre-Yves Beaudouin / Wikimedia Commons

« Le roman vrai d’Alexandre », Alexandre Jardin, Éditions de L’Observatoire (mai 2019), 314 pages.

Comme passionneur pratiquant, je vous incite à partager cet article! Les plaisirs se transmettent avec de volontaires acuités, moi je dis!