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« Les cloches de l’enfer font drelin-drelin » devait, en 1966, être la plus grande production tournée en Suisse, entre le canton de Vaud et le Valais. Un temps de chien a englouti dix millions de l’époque, le tournage a été stoppé abruptement en Valais et l’acteur oscarisé Gregory Peck a promis qu’il reviendrait le terminer au printemps suivant. Ben non !

 

La rumeur filtre dès la mi-mai 1966 dans Le Journal de Sierre et Le Nouvelliste du Rhône. Gregory Peck tourne sous peu en Suisse, dans le canton de Vaud puis en Valais !

Journal de Sierre – 17 mai 1966

Le Nouvelliste du Rhône – 18 mai 1966

Gregory Peck, vers 1966, atteint des sommets en termes de carrière. Dans ces riches sixties, il enchaîne « Les canons de Navaronne », « Les nerfs à vif », « Arabesque »… Il décroche enfin l’Oscar du meilleur acteur, en 1963, pour « Du silence et des ombres ». Il se pose fin juin sur notre Helvétie pour ce qui devrait être « la production la plus importante » tournée dans notre pays et, par ricochet logique, en Valais.

Feuille d’Avis – 30 juin 1966

Le budget tourne autour des 36 millions de nos francs si l’on en croit Le Nouvelliste du Rhône du 8 août 1966. Dans cette fort humide saga – sors déjà ton mouchoir – plein de chiffres contradictoires ruisselleront. Par avance, ne t’en formalise pas ! Pas plus que tu n’oseras ricaner face au titre prévu : « The Bells of Hell go ting-a-ling-a-ling » (« Les cloches de l’enfer font drelin-drelin », oui je sais, cela fait très ringard en français…). Il s’agit d’une référence directe à une chanson populaire, en 1911, au sein des aviateurs anglais. Ritournelle qui répète, en gros : « Les cloches de l’enfer sonnent pour toi et pas pour moi… » Charmant, un truc sympa pour Noël devant le sapin. Une senteur – le sapin – que prend très vite le film lors de ses premières semaines sur Château d’Oex, en Vaudoisie.

L’équipe de tournage comprend qu’elle essuie un été pourri de chez pourri. Il flotte, il neige même. Peck en attrape une bronchite mi-juillet et – comble de joie – lorsqu’il est malade, le ciel se dégage. Quand il revient sur le plateau, les hallebardes recommencent à descendre.

Feuille d’Avis – 8 juillet 1966 – Aide d’Air-Glaciers pour les prises de vue aériennes.

Feuille d’Avis – 12 juillet 1966

Feuille d’Avis – 14 juillet 1966

Feuille d’Avis – 23 juillet 1966

 

Fin de la première semaine d’août (le 6) équipe technique et stars débarquent à Crans (soit entre 140 et 200 personnes, selon les sources).

 

Deux jours plus tard (!), « Les cloches de l’enfer » cessent de sonner. Good-bye « drelin-drelin », la production suspend l’aventure, ce qui est le comble pour un film d’aviation. Le Nouvelliste du Rhône – jusqu’alors en retrait sur l’événement plutôt couvert par La Feuille d’Avis – étale sa rage. La Feuille d’Avis utilise un conditionnel face à l’annulation.

Le Nouvelliste du Rhône – 8 août 1966

Le Nouvelliste du Rhône – 8 août 1966

Le Nouvelliste du Rhône – 8 août 1966

Le Nouvelliste du Rhône – 8 août 1966

Le Nouvelliste du Rhône – 8 août 1966

Feuille d’Avis – 8 août 1966

Le lendemain, les studios jouent la carte d’une communication conciliante, histoire de calmer les partenaires valaisans, en particulier les hôteliers de Crans-Montana.

Feuille d’Avis – 9 août 1966

 

Comme tu survoleras les extraits de presse, en résumé, La Feuille d’Avis confirme que le mauvais temps a coulé le budget, que les décors existants seront entreposés dans « une grande halle en Valais » avant la reprise du tournage au printemps prochain 1967. Même Gregory Peck l’atteste ! Entre-temps, il ira se reposer chez un ami qui possède un château en Bourgogne, puis il enchaînera sur un western filmé en Arizona (sans doute « L’homme sauvage » sorti en 1967). À une nuance près (les décors hiberneront dans un « garde-meubles de Sion »), Le Nouvelliste du Rhône sort les mêmes arguments rassurants. « Ce n’est pas une catastrophe. C’est un accident courant dans le cinéma… », conclut La Feuille d’Avis.

Gandalf heu-reux

Ouais. Les Valaisans reverront Gregory Peck en 1967… exclusivement sur les affiches d’autres films. Épongeant une perte sèche de 10 millions, l’œuvre restera inachevée pour l’éternité. Dans ce naufrage, il y aura un heureux. Il s’agit du comédien Ian McKellen. Celui qui campera – bien des décennies plus tard Magnéto dans les films X-Men et surtout Gandalf dans le « Seigneur des Anneaux » Sur « The Bells of Hell go ting-a-ling-a-ling », il décroche son premier rôle au cinéma ! Personne ne jugera sa prestation car les quelques bobines tournées resteront dans les cartons de la production. Sur son blog et dans un article du Guardian de 1985, Ian s’épanche…

« Après cinq six semaines de tournage, l’été a été envahi par la neige précoce qui devait persister pendant les six mois suivants. Le tournage était déjà en retard, alors a société Mirisch a réduit ses pertes en abandonnant le film et en me renvoyant chez moi – Mais j’ai reçu la totalité de l’argent, environ 4 000 £ – rappelez-vous, je gagnais 8 £ par semaine sur scène – et à cause de cela pendant 10 ans, je ne me suis plus inquiété de l’argent. Et cela a été un facteur crucial dans ma carrière. Je n’avais pas besoin de travailler pour de l’argent – ce qui signifiait que je m’impliquais de plus en plus dans le théâtre. Ainsi mon premier film était inachevé et inédit. »

Sale langue, Ian McKellen ajoute que, jouant un colonel de l’armée anglaise, le Californien Gregory n’avait pas trop l’accent du rôle. « J’ai corrigé à plusieurs reprises sa prononciation, le réalisateur David Miller m’a demandé d’arrêter… » C’est grâce à Ian que nous parviennent quelques rares photos de plateau…

Comme tu as l’esprit aussi vif que le mien, tu dois te demander… Que sont donc devenus les décors de l’œuvre, censés être entreposés à Sion ? Nulle trace dans les journaux du moment… si tu as une idée, je suis preneur !

Joël Cerutti

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