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Image symbolique et quasi allégorique en phase avec les valeurs de Maurice de Courten dont il m’a été impossible de trouver un portrait.

Le 5 octobre 1847, Maurice de Courten, 66 ans, est victime d’une fatale crise d’apoplexie. Ce conservateur très catholique venait de dénoncer les dangers du « radicalisme ». Cette mort déclenche un grand désordre dans la salle du Grand Conseil. Pourtant, les séances reprennent… deux heures plus tard !

Au matin du 5 octobre 1847, peu après 10 heures, 8 minuscules minutes mettent fin à 66 ans d’existence. Maurice de Courten, malgré l’intervention de quatre médecins siégeant dans la salle du Grand Conseil, est foudroyé par un « coup d’apoplexie sérieuse ». Il rend son dernier soupir dans une chambre du Lion-d’Or, hôtel qui jouxte à Sion le lieu des joutes politiques. Maurice de Courten reçoit l’absolution du Chanoine de Rivaz. « Le râle de la mort s’échappait de sa poitrine », décrivent des témoins. C’était moins une dans l’in extremis, quoi.

Un peu patraque et fâcheux état

Non, ceci n’est pas une photo d’époque.

Juste avant son agonie express, le dernier Grand Baillif du Valais a pu prononcer un chant du cygne, du Schwarzenegger très musclé de la plume, peut-être un peu trop au vu du résultat…

Maurice de Courten, plutôt genre « meta giga tera » conservateur, dénonce les forces radicales mettant en danger la foi de nos ancêtres et le « Vallais » qui, à l’époque, prend deux « l » angéliques.

Un extrait pour le plaisir de la rhétorique ancestrale ?

« Révérendissime, très honorés Messieurs ! Nous nous réunissons sous de vives et fortes impressions. L’héritage de nos pères est menacé : cet héritage sacré qu’ils ont conquis au prix de leurs vies ; qu’ils ont su se conserver, et souvent aussi, au prix de leur sang. Les fils honoreront la mémoire d’héroïques ancêtres, et s’en montreront les dignes descendants. Le radicalisme après avoir changé et altéré maintes constitutions cantonales, après avoir jeté en Suisse les brandons de la discorde, est loin d’être satisfait. »

De Courten dresse ensuite une liste étayée des perversités radicales dans toute la Suisse. Bien plus tard, il conclut, ému en diable (si j’ose dire…):

« Dans la lutte qui s’est ouverte en Suisse, le Vallais ne se départira jamais de son attachement à la vieille foi ; nous la soutiendrons avec notre indépendance, avec notre liberté cantonale ; nous sauvegarderons nos droits ; nous saurons les faire respecter : la religion dicte notre conduite, la liberté trace nos obligations, notre propre existence nos devoirs ; l’honneur aussi nous commande. »

Sion au XIXe siècle. Plume et lavis d’encre de Chine de L. Wagner, vers 1884 (Zentralbibliothek Zürich, Graphische Sammlung und Fotoarchiv).

Dans ces envolées lyriques, Maurice semble néanmoins un peu patraque, comme le relève le rapporteur de la séance extraordinaire.

« L’assemblée lut légèrement impressionnée par la voix émue de son président ; mais elle crut que les graves questions, que les hautes pensées qu’il développait, et l’importance décisive de la session actuelle en étaient les seules causes. À peine avait-il placé les travaux de cette session sous la protection divine, et invité la haute assemblée à s’asseoir, qu’il s’aboucha sur la table (…). On crut d’abord qu’il voulait ramasser quelque chose à terre. Comme il tardait à se relever, on s’approcha de lui et on reconnut le fâcheux état dans lequel il se trouvait. »

Point final à « Un testament politique », digne de Maurice-Joseph-Jacques-Christophe, Comte de Courten (pour la faire longue dans l’épitaphe).

Le plus grand désordre règne

Armoiries de la famille De Courten.

Ce décès subit marque les esprits. « La consternation est sur tous les visages et le plus grand désordre règne dans la salle des séances », écrit le journal L’Observateur, le samedi 9 octobre 1847. C’est lui qui nous apprend que les débats vont reprendre… deux heures « après ce triste événement » ! « Les dépouilles mortelles » de Maurice de Courten repartent vers Sierre le 6 octobre. Le Grand Conseil, in corpore, les accompagne jusqu’aux portes de la ville de Sion.

Le lendemain, Maurice de Courten est enterré dans l’église Sainte-Catherine de Sierre, devant l’autel Saint-Antoine de Padoue. Pour beaucoup, Maurice de Courten, troisième président du Grand Conseil élu en 1843, incarnait certaines valeurs qui ne s’harmonisent plus avec l’esprit de l’époque. Certains lui reprochent encore d’avoir été le chef, voire l’esprit, du gouvernement dissident de 1839, qui avait siégé à Sierre.

Oui, tu as bien lu ! En 1839, il y avait eu DEUX Grands Conseils en Val (l) ais !

Maurice de Courten laisse derrière lui une veuve, Marie-Justine-Claire de Courten et six enfants. Le Bulletin du Grand Conseil lui dresse un hommage étayé par force circonvolutions verbales. Attention, tu vas apprendre de nouveaux mots de 1847 !

« Comme on le lui a souvent reproché, comme on lui en a même fait un crime irrémissible, M. de Courten était, dans la plus noble acception du mot, un homme des anciens jours : il en eut la foi robuste, la piété sincère, le patriotisme ardent, l’austère probité. Les épreuves et les mécomptes de sa longue vie d’homme d’État n’avaient fait qu’accroître en lui ces vertus précieuses, et il était du nombre de ces chrétiens que les coups les plus soudains de la mort ne sauraient prendre au dépourvu. »

Ben si, un peu quand même, non ?

Joël Cerutti

Pour en avoir bien plus (tu cliques et c’est tout bon!)

L’intégralité des faits racontée de façon officielle dans le Bulletin de la Séance du Grand Conseil

Narration dans L’Observateur

Qui est Maurice de Courten ? Bonne question ! 

Et maintenant ?

  • À Sierre, l’Hôtel de Ville, qui appartenait à la famille de Courten, ainsi que l’église Ste-Catherine sont toujours debouts. Ce qui, dans la Cité du Soleil, tient quasi du miracle architectural.
  • L’auberge du Lion-d’Or est devenue la Brasserie du Grand-Pont.

Représentation d’une des batailles du Sonderbund, le combat de Lunnern, 17 novembre 1847.

  • Le Val (l) ais de l’époque s’est donc rallié aux forces conservatrices du Sonderbund pour lutter contre les mouvements radicaux. Mais le canton capitule le 28 novembre 1847. Le 4 décembre, les Radicaux abolissent les immunités ecclésiastiques en Val (l) ais. L’actuel Palais du Gouvernement – oui, celui de La Planta à Sion – vient de la spoliation des biens religieux, les lieux abritant le couvent des Ursulines.
  • Parmi les troupes fédérales qui entrent en Val (l) ais dès 1847, se trouve un Vaudois, le sergent-major François-Eugène Masson qui va fonder la plus vieille maison de vin du Valais, la cave Mont d’Or. https://montdor.ch/notre-histoire/

 

Cette tranche d’histoire surprenante et (d)étonnante a été découpée avec plaisir. Sache en faire profiter plein d’autres lectrices et teurs!