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Les endroits où je me régénère sont dédiés aux livres. Immense hommage aux librairies et aux bibliothèques qui dispensent de belles énergies.

 

Mon cauchemar absolu serait de ne pas vivre au milieu de livres. Ils dégagent une vibration, une énergie qui me rassurent. Il y aurait comme qui dirait quelque chose de matriciel. J’ai grandi dans une famille qui étanchait sans cesse sa soif de lecture. Et j’avais « livre » accès à tous les ouvrages.

Puis, j’ai pu m’initier aux liens relationnels comme bénévole au sein de la bibliothèque de l’Association Sierroise de Loisirs et Culture (ASLEC), un étage au-dessous de notre appartement !

Une putain de chance !

Timide, fils unique, cela m’a ouvert vers les autres, celles et ceux qui venaient emprunter des bouquins. Mais avant, ceux-ci devaient être préparés, chouchoutés. Au choix d’un titre succédait tout un cérémonial avant qu’ils ne puissent être mis en valeur, exposés, empruntés.

Il y avait le référencement, l’inscription au catalogue, puis le doublage. Quoi de plus charnel que d’emballer dans un plastique transparent et autocollant la couverture, la tranche et le dos d’un livre ? Sans faire de bulles, avec des plis nets sans qu’il n’y ait des dépassements disgracieux sur les bords. De l’artisanat, du manuel avant de l’intellectuel !

Les étagères dressaient des remparts intelligents face à ceux qui n’en avaient rien à cirer de perdre des heures, perdus dans une intrigue ou des chapitres.

Ces moments constitutifs ont conféré aux livres, dans mon inconscient, des vertus régénératrices.

A chaque moment de crise, de fatigue, de doute, je me suis reconstruit par et avec les livres.

Leur présence me permet de me sentir mieux.

Je n’ai même pas besoin de les ouvrir. Ce qu’ils dégagent par leur seule existence m’apporte un bien fou. Ils rechargent mes batteries, ils m’apportent un réconfort, ils me restructurent. Qu’ils soient achetés, qu’ils soient en prêt, qu’ils soient transmis par un ami, qu’ils proviennent d’une boîte à livres, ils me nourrissent. Sans cesse.

Même si j’ai réduit la voilure, mes bouquins remplissent une quinzaine de cartons de bananes à chaque déménagement. Et les endroits où je me sens le mieux au monde sont les bibliothèques (à présent « médiathèques ») ou les librairies.

Durant mon adolescence, j’ai par ailleurs failli obliquer vers les professions de bibliothécaire ou de libraire.

Au final, j’ai préféré être du côté de ceux qui produisent, qui écrivent.

Lorsque je suis dans une librairie durant une dédicace ou dans l’exploration des nouveautés, je me sens en Terre Connue.

J’ai réalisé une longue enquête, il y a quelques années, autour des librairies indépendantes. La commande venait de « PME Magazine » et j’abordais le côté pécunier de la chose. Dans les réalités rencontrées, la passion prédominait largement sur la fiche de salaire. Il s’agit d’une profession qui ne peut s’exercer sous l’angle néo-libéral. Les gains mensuels, surtout maintenant, atteignent un salaire tout juste décent. Seuls des revenus annexes – liés parfois à des bars, des concerts, des tarots – permettent de boucler les fins de mois.

Je confesse un respect total, voire une admiration sans bornes, envers ces passionnées. J’ai mis volontairement au féminin car, dans ce domaine, le masculin y est plutôt discret.

Je vis dans une ville où, voici un demi-siècle, il existait trois voire quatre librairies. Actuellement, parce que les autorités en ont fait la démarche, il n’en subsiste plus qu’une seule.

Raison de plus pour prendre conscience de la fragilité de ces lieux de bonheur.

Y être invité pour une dédicace, comme cela se prépare avec « Fingen », reste et restera toujours quasi un privilège. Il ne s’agit pas d’un dû mais d’un échange qui se doit d’être équilibré. On y revient. Les livres offrent à mon esprit et à mon corps de tenir en équilibriste sur le fil si fin de mon existence. Merci à eux, merci à celles qui les propagent.

Joël Cerutti