Sélectionner une page

Jean-Manuel D’Andrès veut avoir une retraite active. Il s’est inventé une enseigne unique dans le canton. Il révèle ce concept novateur en primeur sur Valais Surprenant.

Je le sens méticuleux, Jean-Manuel D’Andrès. Avant, il était dans la serrurerie ou les machines agricoles. Il a conçu les escaliers de la Vache qui Vole, réalisé sur un rond-point les armoiries en anamorphose de Saint-Maurice, imaginé des niches au Grand-Saint Bernard. Ces tâches ne supportent pas l’à-peu-près dans leurs exécutions.

Bref soigneux.

Et méthodique.

Voici deux ans, Jean-Manuel a cessé ses activités et s’est mis en semi-retraite. Grâce à la vente des terrains et bâtiments au Chemin des Follaterres, il « dispose d’un capital me permettant d’envisager quelque chose pour moi ». Il se met alors à rénover les locaux qui lui servaient de dépôts, à la rue d’Octodure, Martigny. Ils appartiennent à sa famille, depuis son arrière-grand-père, soit quasi un siècle. Il redonne une seconde jeunesse à la pièce principale du rez-de-chaussée. Jean-Manuel D’Andrès n’y va pas de main morte, il a même les dix doigts très actifs. « Il faut avouer que je n’ai pas fait les choses à moitié et le style contemporain (parois, podiums, niches en tôles noires brutes, faux plafond en toiles tendues, éclairages LED, miroirs) plut beaucoup. » Il y ajoute une télé dernier cri, histoire de prolonger la touche moderne.

Parallèlement, Jean-Manuel confie une mission, début 2021, au sculpteur cinétique Pascal Bettex. Avec des objets récupérés dans l’atelier D’Andrès avant sa démolition, l’artiste doit concevoir des mobiles représentant les trois domaines où s’est illustrée l’entreprise. Soit : « Serrurerie et constructions métalliques (1962-2020). Vente, installation, révision de colonnes à benzine (1962-1988). Vente, service après-vente de machines agricoles, agence Stihl (1962-2020) » (c’est du précis, Jean-Manuel me l’a noté à la main dans ses sept pages de fiches explicatives). Ces créations gardent une « trace de ces 58 années où deux générations ont donné le meilleur d’eux-mêmes ».

Je récapitule.

D’un côté un local redevenu flambant neuf rue d’0ctodure, de l’autre un trio d’œuvres qui vont bénéficier de cet endroit pour être mis en valeur. Et il y a du passage dans le coin, pas si loin de la mythique Foire du Valais.

Ceci dit, il reste de la place…

Jean-Manuel s’était donné comme priorité la rénovation sans savoir à quoi destiner cette surface. Fin août 2022, alors que tout n’est pas terminé (il manque le plancher et justement les sculptures signées Bettex), il y expose des artisans. Et les visiteurs lui tannent le cuir, à Jean-Manuel. « Mais après, qu’est-ce que tu vas vendre ? » Le concerné reste évasif. Il souhaite achever le local avant le début de la toujours mythique (bis) Foire du Valais. « J’y suis parvenu de justesse et réussi à l’arrache à décorer les lieux, le dernier jour, avec des documents, photos de chantiers, hommage à mes parents fondateurs de mon entreprise ». Mais LA question revient en boucle sur toutes les lèvres : « Qu’est-ce que tu vas vendre dans ce local ? » À un tel point que Jean-Manuel organise un concours. « Devinez ce que je vais vendre dans mon magasin ? » « Les prix étaient des bons d’achat dans ma future boutique », sourit l’intéressé.

À part lui, personne ne connaît la réponse.

Même pas son épouse.

Dans un premier temps, Jean-Manuel avait imaginé, pragmatiquement, y proposer des outils pour sculptures sur bois. « Avec l’absence de concurrence directe locale, le coup me semblait jouable. »

Oui, mais voilà. Jean-Manuel, je le rappelle, est en semi-retraite.

Sa femme aimerait bien qu’il lève le pied sur la pédale des gaz, qu’il se balade avec elle, que le couple profite d’un temps enfin libre. « Elle se doutait bien que je ne resterais pas inactif. Les travaux de 2021 et 2022 l’ont un peu inquiété et ma volonté d’ouvrir un magasin encore plus ». Un magasin, c’est de l’administratif, de la paperasse chronophage. « L’aspect commercial ne l’a jamais séduite, je dirai même rebuté. Elle est bien plus intéressée à du bénévolat ou à garder ses petits-enfants ». La bureaucratie, les heures de présence, il y avait mieux dans un concept « d’harmonie partagée »…

Donc après plus que 4 000 signes à ne pas cracher le morceau (ce qui est contraire à toute règle journalistique, car on perd le lecteur en cours de route, du moins, c’est ce que prétendent les profs qui savent), il est temps de lever le voile.

« J’avais décidé… de ne rien y vendre du tout. Ma boutique allait s’appeler : « J’aurais pu vous vendre… » et son slogan sera « Le magasin où l’on ne vous vend rien ».

Régulièrement, Jean-Manuel ajoutera en dessous de son enseigne, une phrase du genre « J’aurais pu vous vendre… des médicaments. Mais le rire est le meilleur des remèdes et lui ne coûte pas cher ». Il enjoint d’autres esprits artistiques à lui proposer des suggestions qu’il affichera dans sa vitrine et sur internet.

 

Pour le reste, c’était du bingo à 100 % : pas de comptabilité, une « activité » qui ne pose aucune contrainte. Jean-Manuel peut animer un quartier auquel il tient beaucoup et garder un contact avec les gens. Car il y aura des rencontres avec des créateurs « d’objets insolites, des personnes dignes d’intérêt mais plutôt méconnues. J’ai toujours été frustré que, dans notre société actuelle, les plus médiatisées ne sont, à de rares exceptions, pas les plus méritantes ». Que les intentions soient claires : si des œuvres y sont présentées, elles ne seront pas à vendre (oui, il faut enfoncer les clous). Pas une galerie, pas un musée, juste un espace de réflexions, de discussions. Ouvert quand il le doit. Ni plus, ni moins.

Jean-Manuel veut « procurer un instant de bonheur aux enfants et aux adultes ». « L’idée d’un magasin où l’on peut ressortir avec un grand sourire, le porte-monnaie aussi garni qu’à l’entrée, le vendeur et l’acheteur enrichis par un échange verbal partagé me séduit. »

Dans le concours organisé durant la Foire, deux personnes ont donné comme réponse : « Vous allez vendre du rêve ». Quoiqu’essaient de nous faire gober les publicitaires, le vrai rêve n’a pas de prix, normal qu’il soit gratuit chez Jean-Manuel.

Celui-ci a contacté par mail les deux votants lauréats pour les informer de son « rien ». Rien, vu sous son angle, c’est déjà beaucoup.

Joël Cerutti