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Bassiste multigenres, chanteur, parfois batteur, Rafael Alexander Gunti gère un studio d’enregistrement dans des anciens abattoirs. De son métier initial – biologiste – il garde un amour de la Nature et une aversion du genre humain. Il la traduit dans plusieurs ouvrages publiés à ce jour.

 

J’avoue depuis des années une sympathie spontanée pour Rafael Alexander Gunti. Oui, j’apprécie ce fin Droopy dégingandé. Sa nonchalance de façade dissimule une curiosité artistique exigeante et, dans le métier, il possède une Réputation majuscule. Quant à ses mots – ses « microscribouilles » – ils griffent des essentiels qui dérangent. Je goûte le Gunti dans sa globalité : le Gunti bassiste, le Gunti à pilosité variable, le Gunti qui rédige, le Gunti chroniqueur et le Gunti qui enregistre. Je croyais ces identités définies et notre entretien m’en apporte d’autres !

Photos diverses piquées sur la page FB de l’intéressé avec son autorisation. Elles sont signées Gilbert Vogt, Johnny Mariéthoz, Paride Corvaglia.

Le samedi 21 septembre 2019, le point de rendez-vous se fixe dans ses lieux d’enregistrement, le Studio Gunt Production. Apprends, non Sierrois que tu es sans doute, la puissance du lieu ! Il s’agit des anciens abattoirs de la ville et Gunti y a pris ses quartiers sonores depuis plus d’un quart de siècle. Soit presque la moitié de sa vie de quadra… À ses murs défendant, l’endroit s’est mué en un pôle musical (la Discosteak jadis, l’Hacienda en des temps plus contemporains). Le sort s’est aussi chargé de le transformer en un maquis de résistance architectural. Depuis au bas mot cinq ans, les alentours ont subi démolitions, tronçonnage, reconstructions.

Rafael Alexander Gunti a ouï sans plaisir bruits, vibrations, poussière des chantiers de proximité. Son studio a tenu tel le village d’Astérix, un pied de nez tout en tags qui explose face à la Nouvelle École de Commerce et de Culture Générale de Sierre.

Un peu de couleurs dans l’uniformité.

Perso, je trouve que ça symbolise le Gunti. Dont les guillemets ne vont pas tarder à s’ouvrir devant une tisane au tilleul, au Buffet de la Gare, toujours à Sierre.

Gunti : le retrait fondamental

À cet instant I débute la Genèse de Gunti. « Je suis né d’un père bâlois et d’une mère bernoise… Les sept premières années de ma vie, je ne parlais que le bärndütsch. Puis mon père, gynécologue, est venu s’installer à Sierre… J’ai vite appris le français… » Un CV professionnel m’informe que Gunti entre en musique par le piano et la guitare. Celle-ci ne le démange guère car il monte sur scène derrière une batterie et surtout une basse. « Cela me correspond. Pour moi, c’est fondamental et important de ne pas être au premier plan. Cela convient à l’introverti que je suis… »

La batterie, il s’y est mis car Phil Collins figure dans son panthéon. La basse, il s’y est lancé par hasard. « Le groupe Doors Revival m’a dit qu’il me prenait si j’apprenais cet instrument. Cela m’avait toujours titillé. Dans le funk, il y a des lignes de basse – inaccessibles pour moi – qui sont fabuleuses… »

Avec baguettes et cordes entre et sous les doigts, Gunti se révèle un pacifique mercenaire des groupes. Son site« Il est construit comme un inventaire, un CV à l’envers qui me permet de me souvenir de ce que je fais » – recense 795 concerts. Dans tous les genres !

« J’ai un spectre assez large, presque tous les styles sont intéressants. Mon père m’a toujours encouragé à n’être pas un spécialiste et à avoir une vue assez large… »

Quelques échantillons ?

Les Pornographes (avec Alice Richtarch et Greg Pittet)

 

« Avant, si on m’avait dit qu’une femme allait chanter du Brassens, j’aurais répondu que cela aurait été un sacrilège. Puis est venue Alice Richtarch… Elle le fait tellement bien, avec un tel charisme… »

Wild Tramp (plays Supertramp avec Yves Oggier et Armin Venetz)

 

« Cette année, on fait des concerts où l’on reprenait, notes pour notes, celui de Supertramp à Paris, en 1979. Je n’aime pas les métaphores sportives mais si tu ne cours pas toute l’année, tu ne peux pas faire Sierre-Zinal. Si tu ne pratiques pas tous les jours – ou presque – la basse, tu ne peux pas jouer une si belle partition. Pour moi, il est très difficile d’interpréter un morceau complet et d’en être entièrement satisfait. Mon esprit part autre part… S’il y a une belle écoute, automatiquement, je me mets moins de pressions et j’ai plus de facilité à me concentrer… Je suis seul juge de mes accidents ! »

Di mini bikini si dini (textes de Mani Matter, avec Anouk Bovier et Philippe Zwahlen)

 

« C’est la seule fois où je me suis dans la lumière, c’était moi que l’on regardait puisque je chantais ! Il s’agit de chansons que j’adore, que je savais déjà par cœur à l’âge de 4 ans et qui descendent profond dans mon affect. J’ai tenu le rôle de frontman même si je me cachais derrière les textes de Mani Matter… »

Georges Michel

(sans commentaire, si ce n’est que tu admireras Gunti à la batterie…)

Il ne s’agit que d’une modeste carotte forée dans la masse des prestations de Gunti. D’autres bonheurs s’écoutent avec Jacko & the Wash Machine, Travelled, The Tortilla Flat… Va les chercher !

Gunti : pas d’ego au studio

Bref. Gunti produit des sons rythmés et il les capte aussi dans le Studio Gunt Productions, deux pièces implantées aux anciens abattoirs de Sierre (décrits précédemment, tant pis pour toi si tu zappes !). En gros, tout ce qui possède un organe talentueux en Valais (voire de l’étranger) y est passé. Les formations citées plus haut et encore Paul Mac Bonvin, Valérie Fellay, Marc Aymon, Thierry Romanens, Charlotte Parfois, Bernie Constantin, Anach Cuan, Aurélie Emery… et je coupe court à cet inventaire.

« Le premier enregistrement que j’ai dû faire, c’était avec le groupe Fleuve Congo en 2003. Au départ, ce studio avait pour fonction de se dédier à mes projets. Puis j’ai décidé d’en faire mon gagne-pain. Tous les copains que j’avais dans le milieu se sont montrés intéressés… » Gunt se souvient de son initiale visite« Les abattoirs étaient à l’abandon. Avec un ami, nous avons fracassé une porte pour y entrer. C’était plein de débris, de déchets, d’anciennes choses, cela nous intéressait. »

Puis l’Association Sierroise de Loisirs et Culture (ASLEC) a hérité des lieux et Gunti y est entré plus officiellement. « J’ai dû bouger cinq ou six fois mais j’ai toujours eu un local. » Qu’il mixe pour des disques, des voix off destinées au pub, des émissions pour la radio, des bandes-son qui rehaussent des spectacles ou des manifestations, Gunti a gagné ses lettres de noblesse. Il satisfait ses clients et ça se sait. « Sans doute quelques fois ai-je fait du bon boulot mais ce n’est pas à moi de le dire. J’ai toujours eu horreur des manifestations de l’ego… Cela m’apporte beaucoup de plaisirs, je fréquente des artistes passionnants. Ils rejoignent ma sensibilité. Ce ne sont surtout pas des fonctionnaires ou des politiciens. »

Exemple de pub enregistrée chez Gunti

 

Gunti : ce qui découle de la biologie

Cela transparaît au travers de certains mots, Gunti examine l’homme au bout de longues pincettes en se bouchant le nez. « J’ai gardé de mon métier de biologiste un amour de la Nature et la conviction que l’homme n’est qu’un animal. Lorsqu’on me lit, ce n’est pas compliqué de me cerner, je suis plus du côté de la répulsion. »

Par de courts textes incisifs et lucides – « plus Cioran que Camus » – Gunti ne trouve guère d’espoirs dans le genre humain. « Je rêve d’une planète avec uniquement des plantes, où l’homme aurait disparu. Cela ressemblerait au paradis dont on me parle… » Ouais, mais s’il n’y avait plus que la verdure, le bipède Gunti ne serait pas là pour me causer, non ? « Cela ne serait pas grave… »

Oeuvres rééditées en format poche et commandables sur https://www.thebookedition.com/fr/35104_rafael-a-gunti

Gunti, dans ses livres, distribue ses baffes. En reçoit-il en retour ? Même pas ! « Étonnamment, les gens me comprennent ! Ils sentent que je force le trait sombre. Ils trouvent de l’humanisme dans les propos du misanthrope sans espoir que je suis. Ils y voient même un amour de vivre, des autres, latent, caché… »

Livres exposés au studio sous une gravure qui rend hommage à la profession paternelle.

 Un temps de silence devant la tasse qui a contenu l’infusion de tilleul. « Je dois être un misanthrope humaniste… », estime le gars qui, durant l’entretien, a bien dû saluer sept ou huit personnes de passage…

Joël Cerutti

Photo de Nicolas Acri qui immortalise un bref et rare instant de vénération du bassiste.

Le son circule à la vitesse de 340 mètres à la seconde. En sera-t-il de même pour cet article généreusement offert à tes rétines?