Sélectionner une page

 

St.Paul a sévi sur Radio Martigny, été le premier DJ techno en Valais, organisé des soirées sauvages en des lieux délirants, lancé la vague Goa, programmé sur Couleur 3, composé un CD de musique méditative, mixé à la Fête des Vignerons. Il enseigne le Djing à l’École de Jazz et Musique Actuelle (EJMA) Valais.

 

Tu composes la play-list de cet article avec du St.Paul, ou du St.Paul on acid, voire du Digital Pirates, ou encore du Mood Ticket, même de l’U.V.W, pourquoi pas du V.O.G, avec même un Genetic Dysfunction. Tu mixes. Tu obtiens quoi ? Georges-Emmanuel Poletti, un nom civil à l’origine de tous les pseudos que je viens de t’énumérer. Derrière chaque nom de scène, un style, un genre, une démarche, une composition, une recherche musicale. Et Georges-Emmanuel, durant les années 80 du siècle passé, devient le premier DJ electro ou techno du Valais.

« Quand je me suis lancé dans ce genre, il n’y avait personne d’autre », assure-t-il.

Des histoires gravées dans les microsillons de la mémoire, son aiguille sait les restituer sans broder.

Avant la platine, défilent des initiations à la musique, des cours privés de piano, de la trompette et du baryton à la Fanfare Edelweiss de Martigny-Bourg. Ouaip, môssieur, c’est sur son CV. « Tout cela ne me laisse pas de bons souvenirs », dit-il, le regard sombre. La Grande Musique oublie ses majuscules dans sa sensibilité, les emphases des partitions l’emmerdent. DJ, par contre : regard lumineux ! « Cela me trottait dans la tête depuis un moment… » Il commence par des cassettes dans sa chambre (« Le vinyle coûtait trop cher… ») et attend que l’occasion se présente en 1984.

Et St.Paul vint au monde

À la Maison des Jeunes de Martigny, la création du Club Eastwick lui offre l’opportunité d’endosser le rôle de DJ. Qu’est-ce qui l’attirait ? Qu’est-ce qui l’attire encore ? « L’hypnotisme de la musique sans fin ! Il n’y a rien de pire que de passer d’un morceau à un autre qui n’a rien à voir. Il faut être pris et ne plus en sortir… »

Le fond de l’air new wave, de la pop touchant l’electro ne l’effraie pas, Poletti. « C’est une période avec des artistes comme Frankie Goes To Hollywood, Pet Shop Boys, Depeche Mode, Jimmy Somerville, des groupes comme Queen… À 80 % des homos qui cassaient les codes sociaux, vestimentaires. » Tu y ajoutes Tangerine Dream, Front 242, Pink Floyd (« les passages non vocaux ») ou Sigue Sigue Sputnik (« Du rock punk electro dont j’étais un grand fan ») et cela te brosse son paysage musical.

Pas loin de La Maison des Jeunes, une synchronicité géographique place les studios de Radio Martigny, ancêtre de Rhône FM.

Avec Sébastien D’Amico, Poletti y décroche l’émission Disconexion. Sa maîtrise technique lui permet de glisser des couleurs musicales autres que le pastel fade des tubes z’à la mode. « J’imposais de plus en plus de la musique électronique… » Soutenu par Olivier, fils du futur diacre Jean-Luc Ballestraz fondateur de Radio Martigny, le duo de Disconexion initie des émissions hors studios. « Certaines étaient en direct, pas beaucoup, car cela passait par les lignes téléphoniques et ça coûtait fort cher… » Les Disconnexion Live rebaptisent Sébastien D’Amico en Docteur Faust et Georges-Emmanuel en St. Paul. « Parce que j’avais encore une gueule smart, jeune et sympa ! » Une de ces Disconexion se passe aux Caves Bonvin de Sion, un bâtiment en bois où les organisateurs n’y vont pas mollo avec les stroboscopes et les fumigènes. De l’extérieur, des émanations donnent l’impression d’un début d’incendie. Les voisins alertent les pompiers ! Ambiance !

Le manoir des bonnes sœurs

Dès lors tu entres de plain-pied dans les premières soirées électroniques au Pays des 13 étoiles : les Party Zone. Il y en avait des légales, signalées aux autorités compétentes. Et d’autres, « des sauvages » où tu essaies d’éviter que les forces de l’ordre te débusquent. « Le vendredi, on distribuait des flyers dans tous les bistrots. Ceux qui étaient intéressés nous payaient l’entrée directement. On leur donnait une photo numérotée où se trouvait un plan qui indiquait où se déroulait la soirée du samedi… Cela faisait office de billet. » Les décibels rugissent en des lieux improbables, inimaginables. « Dans la zone industrielle de St-Maurice, il y avait un bâtiment, qui ressemblait à un manoir et qui appartenait à des bonnes sœurs. Il était complètement délabré et tenait par des vérins. La soirée a été magnifique, un carnaval extravagant où les mecs arrivaient habillés en femmes et les filles en anges. Ce que l’on ignorait, c’est que le plus proche voisin était un policier. Il est rentré assez tard, un peu bourré, avec un collègue. Il s’est quand même approché pour voir ce qui se passait et a cherché un responsable. J’ai pu lui montrer un bulletin de versement, portant sur 20 francs, que j’avais envoyés aux sœurs pour régler les frais d’électricité. Avec ça, je « prouvais » que la soirée était annoncée aux propriétaires même si elles ignoraient tout de son existence ! Le flic est reparti… »

Tente, forêt et Psychédélique

 St.Paul – même s’il dispose d’un diplôme de vendeur obtenu au Migros-Brico de Martigny – ne varie pas de sa trajectoire de DJ et d’organisateur. Ses galettes de vinyle lui sont fournies depuis Aigle, Lausanne, Berne, Thoune ou Zurich. Il déteste les esprits de chapelle, il ne se laisse enfermer dans aucune secte de genre. Il a donné dans le New Beat, l’Acid House, l’Electronic Body Music (EBM) ? En 1993, St.Paul assemble le Cyberpunk Mouvement qui « secoue les dancefloors avec un hardcore acid trance et industriel extrême » (citation tirée de sa bio, histoire de me reposer avec du copier/coller). « Dans un premier temps, les clubbings m’ont alors délaissé et je me suis fait vraiment mon nom dans les salles de rock qui aimaient le Hardcore… »

Jusqu’en 1995, les baffles assènent aussi de l’Ambient, du Psychédélique et de la Goa… « Puis, au décès de mon amie, je n’ai plus fait QUE du Psychédélique, j’étais le premier artiste en Suisse romande à me lancer dans cette musique. »

Les soirées psy se passent dans des forêts avec des décors fluo et boudent toujours la banalité des autorisations. « Les invitations partaient par courrier, nous avions pour 800 francs de timbre chaque mois. Le rendez-vous était donné dans un parking à une heure précise et il fallait suivre ensuite une voiture… Nous avions même une tente pour continuer les soirées en hiver. »

Le planning se construisait et se répétait ainsi : 4-5 voyages en bus pour apporter le matériel sur les lieux choisis, 2-3 jours pour le montage, 1 soirée de délires, 2-3 jours pour remiser. « Le tout sans dormir ». Lors de colossaux événements, St.Paul et cinq-six autres personnes grillent un mois à préparer la salle choisie, la décorer… Tout se termine après 8 ou 9 heures de musique. « Nous avions les larmes aux yeux lors du démontage. »

 St.Paul au paradis du silence

St.Paul initie la vague Goa, Couleur 3 surfe sur le phénomène et lui ouvre ses ondes entre avril 1996 et juin 1998. « Lorsque des clubs nous sollicitaient, nous imposions nos prix, nos conditions, comme celle de cacher toutes les pubs. Nous voulions que l’esprit du public décroche… » La réputation se taille comme les routes et les kilomètres avalés. St.Paul pulse en Thaïlande, en France, en Angleterre, en Allemagne…

Puis tombe le couperet du ras-le-bol.

Un trop-plein de bruits, une lassitude d’adrénaline. « J’ai bâché pour une multitude de raisons physiques et psychiques. La principale pour moi était la saturation de musique, mes oreilles étaient fatiguées. J’ai eu besoin du silence complet, je ne supportais plus le bruit d’une pièce de monnaie qui tombait à terre. »

La prise n’est pas totalement sortie, des « soirées minimes » et surtout l’aventure du V-SO Club sur Martigny au début des années 2000. « Nous n’avions pas un rond, rien, pas même 1 000 balles. Nous avons cravaché, transformé une halle industrielle moche en un vrai club magnifique, récupéré – les frigos du bar venaient de la décharge – loué du matériel avant de le racheter… » Le V-SO  – club hébergé par l’association TheCollective.ch – offre un studio, il permet la composition de Musique Assistée par Ordinateur (MAO) financée par des soirées. « Cela tournait superbien après des années difficiles pour que nous nous fassions connaître. Il y avait 200 places, nous devions refuser du monde… » Une autre faune, de celle qui deale, pollue le périmètre, ce qui signera en partie le naufrage du V-SO Club vers 2008…

La bio intense de St.Paul me permet de zapper vers des domaines inattendus. Sous le nom de Mood Ticket, il compose le CD « Earth, Water And Air », neuf titres de musique méditative ! « Je me suis toujours fait plaisir, c’est un hommage à mes premières amours musicales, à Tangerine Dream… »

 Enseigner au-delà des stéréotypes

St.Paul revient progressivement sur les affiches, les devants de certaines scènes, il assure même une date à la Fête des Vignerons. « Avant, je jouais trois fois par semaine. Maintenant une fois par mois. Financièrement, cela ne me fait pas nécessairement plaisir. Mais à mon âge, cela me convient ! » D’autant que la nécessité du silence s’impose sur plusieurs jours après un concert de 5 heures… St.Paul observe l’émergence d’un conformisme dans les compositions.

« Il y a toujours des trucs exceptionnels… mais de plus en plus rares dans un underground « mainstreamé » et commercial. Tu dois tout faire comme les autres sinon tu es considéré comme trop bizarre ».

En tant que prof à l’EJMA Valais, dans ses cours de Djing, Georges-Emmanuel Poletti tente d’insuffler des envies de « musique non commerciale ». « Il faut aller chercher au-delà, se forger réellement une oreille au-delà de ce qui est stéréotypé. Côté technique, j’encourage à expérimenter, à grailler… Sinon autant prendre son iPad ! »

Se préparent d’autres cours de MAO, une formation sur plusieurs années, ou à la carte, en fonction des musiciens. 

St.Paul se rappelle aussi que les premiers DJ ne se perchaient pas au sommet d’une estrade en levant les bras au lieu de mixer. Leur table se posait au niveau du dancefloor. « Ta passion t’apprend que la star, c’est toujours la musique. Pas toi ! »

 Joël Cerutti

Photos noir et blanc: Benjamin Germanier

Site: https://djstpaul.live

Ce site mixe les passions hors normes, surprenantes, (d)étonnantes. Faire circuler cet article assure son développement futur. Mille mercis des partages!