Dans le domaine de la dédicace, j’ai connu un maître, avec lequel je suis en total accord : le dessinateur Albert Weinberg. Un vrai exemple de conscience professionnelle et de respect envers son public.
Cela m’avait frappé et marqué. Voici presque dix ans, lors d’une de mes premières dédicaces à la librairie La Liseuse, nous étions plusieurs auteurs derrière une table. Nous attendions que d’éventuelles personnes viennent vers nous afin que nous apposions une griffe, une signature. Pourtant, l’un d’entre nous déployait une stratégie d’absentéisme forcenée.
« J’aime pas ça », qu’il bougonnait, les mains dans ses poches.
Il mettait un point d’honneur à se cacher entre les rayons, à boire des verres et surtout à ne pas s’asseoir avec nous. Ses quelques fans devaient quasi le coincer avant qu’il daigne gratouiller un paraphe bâclé.
Ouais. Je peux comprendre ces créateurs écorchés vifs qui préfèrent l’isolement au contact humain. Dans ce cas, la cohérence ne mange pas de pain: tu ne te pointes pas, tu fréquentes TA niche. Mieux vaut que tu restes seul plutôt que tu t’estimes mal accompagné !
Cela me rappelle tellement ces acteurs français, logés dans des palaces à Genève, et qui râlent à longueur de phrases durant les interviews. Parce que la promo d’un film, mais quelle horreur ! Répondre aux questions des journalistes ? Blllarrrffffff… C’est d’un barbant…
Pauvres choux.
J’ai, pour ma part, toujours gardé en mémoire l’exemple d’Albert Weinberg.
Le papa du héros Dan Cooper, quand il venait au Festival International de la Bande dessinée à Sierre, ne se ménageait pas ! Impossible, inconcevable pour lui de bâcler ses illustrations en page de garde. Il partait avec des piles d’albums dans sa chambre d’hôtel, histoire de les soigner. Le dimanche au soir, lorsque tous les autres démontaient leurs stands, Weinberg restait rivé à sa table. Il peaufinait encore pour ses lecteurs.
Il était de cette école qui tient en estime celle ou celui qui lui donne de l’argent, puis du temps. En artisan méticuleux, il respectait la confiance accordée.
Je me revendique de cette noble tradition !
Albert Weinberg m’a montré un chemin que je poursuis depuis une décennie.
Parce que d’abord, j’adore les séances de dédicace. Et j’attends avril 2023 avec impatience avec « Fingen », mon petit dernier.
Je me contrefiche du nombre de signatures, je recherche le plaisir d’un échange, d’un partage. J’essaie aussi de trouver un mot personnalisé afin de ne pas radoter. Certains emploient une formule bateau qu’ils répètent à l’envi. Je préfère la singularité sur chaque page. C’est un petit défi amusant qui évite le copié/collé. Après des heures, rivé devant son ordinateur, cela représente des bouffées d’oxygène indispensables. Et si personne ne vient – oui, cela peut arriver ! – se noue la discussion avec la libraire. Immanquablement nourrie, car rares sont celles et ceux qui exercent ce métier sans avoir une profonde foi littéraire… On y revient sous peu, d’accord ?
Joël Cerutti