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Depuis deux ans, Alice Richtarch chante du Brassens chez Les Pornographes. Les interprètes féminines du père Georges ne sont pas monnaie courante. Quant à l’itinéraire artistique d’Alice, il galope d’un genre à l’autre. Elle s’est même adonnée à des soirées mélangistes, je ne te dis (pas) que ça.

 

Au jeu des contrastes, Georges Brassens et Alice Richtarch forment un tandem parfait. Georges pousse sa taille jusque vers le 1 m 77, promène un gabarit de 100 kilos, des cheveux/moustache de jais devenus teinte de sel. Indéniablement, Georges semble de genre masculin et il n’est jamais mort le 20 octobre 1981. Alice se révèle plus menue, plus fine, plus blonde, fort féminine et encore plus en vie. Brassens chante dans les basses, la voix d’Alice se balade avec plaisirs dans les hauteurs des octaves.

Le contraste ne signifie pas l’exclusion, il suffit d’être passionnée. Brassens ? « Je l’aime tellement ! », assure Alice dans la lumineuse cuisine d’un chalet, paumé dans un coin impossible de Grimisuat. En haut, son Pigr de mari tape du marteau pour fixer une tringle.

Depuis presque deux ans, Alice égrène les couplets du gaillard Georges au sein des Pornographes.

C’est de l’étonnant car il n’est guère courant qu’une gente dame serve les rimes du père Georges.

 

 « Lorsque nous sommes allés à Sète, au Festival « 22 v’la Georges », il y avait un duo féminin… » Et c’est un peu tout, à notre connaissance, dans le monde musical, cuvée 2019. Les fans de Brassens ne crient pas à la profanation de l’esprit de chapelle – pas le genre. « Je le respecte au mieux, j’y apporte ma très petite touche et nous avons des retours positifs. »

Manquerait plus que des rustres fassent la fine bouche en cul de coq ! Brassens, cela a été de l’exigence à l’écriture, cela reste du perfectionnisme à l’interpréter. « Les Pornographes, première version, avec Philippe Zwhalen au chant, se sont arrêtés durant 5 ans. Lorsque nous avons décidé, avec Greg Pittet et Rafael Gunti de ressusciter le groupe, cela a été 4 à 5 mois de travail. À fond. Avant chaque concert, on continue à répéter. Et la mémorisation des textes, elle n’est pas évidente ! C’est un gros gros boulot. »

Charles Trenet – dont Brassens était une groupie intégrale ­ – « chante, chante soir et matin, sur son chemin. » Alice, c’est un peu ça aussi, car son spectre vocal ne se limite pas qu’à Brassens (que je viens quand même de citer deux fois dans les deux dernières phrases…). Elle s’incarne dans d’autres registres depuis l’enfance, évidemment tendre et passée à Randogne. « À la maison, mes parents mettaient souvent des chansons brésiliennes. C’est un peu ce qui a dû déclencher cette passion, depuis l’âge de 6-7 ans. » Elle est engagée dans la chorale Les Petits Mandarins (Mollens) où elle se retrouve parfois soliste : « C’était valorisant. » Puis elle passe dans les rangs de la Chorale des Jeunes de Corin. « À force, cela te donne une bonne oreille, tu apprends à décortiquer les harmonies. » Elle suit des cours privés chez Alain « Vito » Mudry, se plante même devant un micro au sierrois Studio Gunt, le bassiste des Pornographes. « J’avais 12 ans, cela sentait déjà la clope et la bière, odeurs que j’ai retrouvées par la suite… »

Alice et les mélangistes

Alice prend du grade comme choriste de la Brésilienne Vanda Lou où elle « apprend plein de choses ». Puis elle passe dans une phase reggae, toujours comme voix d’accompagnement (pour ne pas répéter le mot « choriste »). Elle grimpatouille sur les planches dès que les occasions se présentent, lors des soirées mélangistes de l’Hacienda par exemple. Éteins cet œil égrillard, il s’agit de rencontres qui attirent une cinquantaine de musiciens le temps d’une soirée où se brassent les genres.

Alice Richtarch croche au jeu de guitare d’un certain Greg Pittet, ce qui débouche sur le groupe Alice tout court. « Il s’agissait de composition swing, proche du jazz manouche… » Alice commence à y faire groover ses mots à elle. « Et à chaque concert, nous mettions une ou deux « Brassenseries » (des reprises de Georges dont je reparle à nouveau donc – NDLR). Cela m’allait bien, je l’écoutais déjà à la maison et je ne trouvais pas ça vieillot du tout. »

Capsul vu par Pigr.

Alice se mue en CD, tourne, aligne les dates et réalise même des concerts au Népal en 2013. « C’est l’ambassade de Suisse qui nous a invités à Katmandou dans le cadre d’une semaine organisée par l’Alliance Française. Le but, là-bas, était de collaborer avec des musiciens locaux. Notre style manouche correspondait aux gars du coin. » L’alliance prend, Alice effectue un autre crochet vers le Bangladesh. « Les ambassades s’étaient passé le mot nous concernant. Cela a été le départ de plein d’échanges musicaux. Nous sommes retournés régulièrement là-bas et les artistes népalais sont venus en Valais. »

Ce mélangisme interculturel, intermusical, « interroirs » façonne le projet Capsul, officiellement financé par les instances adéquates.

 

Le CD de 13 titres – cosignés par Alice et Greg – se grave en 2016. L’univers musical rassemble une dizaine d’artistes au studio Nepal de Katmandou. Il déroule un chouette tapis musical qui aurait pu être rouge et promut à de plus hautes destinées. Comme dans tout groupe, il arrive que les rouages humains se grippent. Les énergies investies se tarissent. Plutôt que de rester en plan, Greg Pittet et Alice Richtarch et Rafael Gunti en dressent un nouveau : la résurrection des Pornographes.

 

Alice, éducatrice de la petite enfance – notamment à l’Atelier Indigo de Sion – connaît en 2018 les joies de la maternité, d’un nouveau foyer, concentrés sur une seule période. Depuis, elle recommence à concocter des compos persos. « J’ai besoin de ça, de jongler avec les rythmes. Je n’aimerais pas me lever le matin pour des trucs que je détesterais faire. » Elle enregistre des premières maquettes avec un Looper, engin qui capte une voix et la passe en boucle.

Alice envisage de tenir avec un set d’une heure trente. Avec rien qu’elle-même en personne. Cette confiance aveugle en une machine a déclenché des signaux d’alarme. « S’il y avait eu le moindre problème technique, je me retrouvais nue sur scène. » Courant 2019, elle mobilise de vrais humains autour de ses créations… « Le groupe n’a pas de nom, il reste à déterminer. »

Fin octobre 2019, au Festival « 22 v’la Georges », Les Pornographes ont cumulé les prestations à Sète (mais en trio) dans les bars ou sous un grand chapiteau. « Là, il y avait dans les 400 personnes, avec une qualité d’écoute, tu reçois beaucoup ! »

Il n’y aura pas de conclusion fétichiste en cette fin d’article car Alice ne s’est pas recueillie sur la tombe de Georges. « Le cimetière, on s’en fout ! Ce qui compte, c’est l’amour de ses textes ! »

 Joël Cerutti

Pour suivre les concerts des Pornographes: https://www.facebook.com/Les-Pornographes-2003995216543756/

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