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Baptiste Mabillard commercialise Shelduck TV, un boîtier aux 10 000 vidéos qui permet de visiter 52 pays sans être branché sur internet. Il espère que ce concept, allié à celui d’une pâtisserie, puisse financer un long métrage qui évoque la maladie de sa mère. Car, à même pas 22 ans, atteint dans sa santé, ce pionnier des drones en Valais illustre par l’exemple ce qu’est la vraie résilience.

La Shelduck TV a la forme épurée d’un galet où se trouvent concentrés les espoirs et les expériences de toute une vie. Celle de Baptiste Mabillard. À l’intérieur, grâce à une technologie développée avec la société Creaholic, se pressent des images paradisiaques en 10 bits et 4K. Via un simple câble HDMI, vous connectez la Shelduck TV à une télévision. Un clignement d’œil et c’est opérationnel. Sur l’écran s’envolent à l’infini des prises de vue, réalisée avec des drones, tournées dans le monde entier. Le téléspectateur choisit où il veut « voyager » ou alors il laisse à une intelligence artificielle le soin de la surprise.

Dans cet objet, réalisé avec du plastique récupéré dans les océans, Baptiste Mabillard y met ses expériences et ses espoirs.

La Shelduck TV, il l’imagine et la projette dans les salles d’attente de médecins, des hôpitaux, des EMS, des centres de réadaptation, dans des unités de soins palliatifs, dans les aéroports, dans des open spaces, dans des vitrines. « Avec Shelduck TV, j’ouvre des fenêtres sur le monde, j’offre de la beauté absolue avec une simplicité d’usage très minimaliste », définit Baptiste.

 

Qui n’en reste jamais au stade de la théorie, il se mobilise pour la pratique.

Le déclic de tout ça ?

Le moment où l’existence de Baptiste a éclaté.

Frappé par des maladies orphelines

« Fin 2018, j’ai ressenti des maux de ventre de plus en plus douloureux. La position latérale de secours n’arrivait plus à les soulager. J’ai fini par aller consulter et passer des examens. Sans penser que cela serait grave. Les médecins m’ont alors annoncé, sans trop de psychologie, que je souffrais d’une cholangite sclérosante primitive (CSP) et d’une rectocolite hémorragique ulcéreuse. »

Inutile d’aller fouiller dans les dictionnaires médicaux, il s’agit de maladies « potentiellement » graves, orphelines, susceptibles de dégénérer en un cancer du côlon. Baptiste, sans cesse en mouvement, se retrouve donc cloué au sol, à subir des perfusions durant 5 ou 6 heures. « Sur ma main gauche, on prend la pression cardiaque. La droite est monopolisée par l’intraveineuse. Et dans la salle, il n’y a rien. Ou alors une télé branchée sur une chaîne d’informations en continu où l’on ne voit que de la tristesse… » Baptiste constate que le milieu hospitalier l’est finalement très peu dans l’environnement proposé aux patients. Il se cantonne trop souvent à des écrans qui ouvrent sur tous les malheurs du monde. « Si vous ne voyez que des horreurs, vous entrez dans une zone de stress insupportable. Moi, je suis un chanceux, je peux encore bouger. Mais que dire des personnes tétraplégiques, en phase terminale ou des enfants ? Il y a pire que moi… »

Alors Baptiste imagine sa Shelduck TV, cet appareil qui permet de se dépayser dans 52 pays grâce à 10 000 fichiers. « J’ai aussi pensé à ma grand-mère, 85 ans, qui habite Grimisuat. Grâce à ma série « Le Valais depuis les airs », elle a redécouvert plein de régions qu’elle connaissait dont celle de Zermatt.»

 

Le sujet encore tabou de la dépression

Retour à fin 2018. Dans les mois qui suivent, le destin s’acharne. La mère de Baptiste décide de quitter ce monde. « Elle souffrait d’une dépression cachée. Elle était toujours souriante, disponible, personne n’avait rien vu venir. Il est difficile de désamorcer une bombe dont on ignore l’existence. Ce sujet reste encore très tabou, il n’est pas reconnu et il est entaché par une sale image. Il est facile de tenir le discours, face à une personne qui en souffre, « Secoue-toi, quand on veut, on peut ! » Tu peux vouloir sans pouvoir ! » 

Au détour de la conversation, Baptiste lâche encore que, durant cette période,  il est encore passé sous une avalanche. « Je suis resté 35 minutes sous 1 m 25 d’une neige de printemps ». Et, au retour d’un voyage au Japon, le disque dur de Baptiste lâche. Il ne récupère, au prix d’une opération informatique coûteuse, que le 50% des images.

Maladie, deuil, accidents : d’autres y auraient laissé leur vitalité.

Pas Baptiste. Son CV traduit une opiniâtreté certaine.

Pro dès 15 ans

Les médias romands ont été séduit par Baptiste, sa société Shelduck et surtout par ses prises de vues en drone. Chez lui, cette fascination visuelle remonte à ses escapades avec son père. « Lors de nos excursions, il pouvait me nommer toutes les montagnes qui étaient autour de nous. Il m’a appris à regarder. » Puis vers 2014, il découvre sur YouTube les premiers clips réalisés avec des drones. « C’était incroyable ! Il était possible de filmer ça, sans hélicoptère, de passer sous des ponts, de traverser un clocher ! »

À cette période préhistorique, les drones exigent beaucoup de bricolage. Baptiste assemble ses premiers modèles grâce à des tutos. Les engins passent plus de temps à s’écraser au sol qu’à tenir en l’air. Tenace, Baptiste finit par obtenir des résultats qui pourraient intéresser des entreprises. Il les approche, apprend progressivement l’art délicat des négociations. « Au début, je ne connaissais rien à l’argent, je suis devenu pro petit à petit ». Parallèlement, Baptiste commence son apprentissage de boulanger-pâtissier.

« Ma maman avait un talent de cuisinière, j’ai toujours aimé bien manger. » Dans les faits, il effectue des horaires où il termine tôt le matin, il part en vélo électrique sur les lieux où il veut faire voler son drone, il fait « une petite sieste sur un rocher » puis il rentre chez lui. Il met les images dans son ordinateur, se glisse enfin dans ses draps, aligne quatre heures de sommeil et repart pétrir ses pains. « Ce n’était pas tous les jours comme ça », tempère Baptiste.

Ah oui, il a alors… 15 ans.

« Lorsque je démarchais des offices du tourisme pour leur vendre des images, je forçais ma voix dans les basses et mes interlocuteurs croyaient que j’avais 30 ans ! C’était une très belle période, je découvrais des endroits incroyables en Valais. »

Baptiste ronge son frein pour fonder légalement sa SARL à 18 ans. Il pose les 20 000 francs règlementaires sur la table sans rien emprunter aux banques. Il délègue d’emblée sa comptabilité à une fiduciaire.

 

Shelduck prend son envol.

Pourquoi ce nom ? « Bonne question ! Il s’agit d’un oiseau migrateur (le Tardorne, en français), qui serait en voie d’extinction. Il ressemble comme deux gouttes d’eau à mon premier drone. Il a une particularité : une fois qu’il est dans les airs, il ne s’arrête jamais ! Nous avons plus d’un point commun… »

 Pays de cœur

Après avoir écumé les cieux valaisans – et son CFC de boulanger-pâtissier décroché – Baptiste décolle vers d’autres pays. « La société Tour Asia m’a fait confiance et j’ai pu me rendre au Japon. La seule chose que j’ai payée, c’est le bœuf de Kobe que je voulais à tout prix déguster. » La stricte loi nippone interdit de survoler des habitations à Tokyo ? Baptiste pilote son drone au-dessus des rivières de la capitale. C’est « borderline » mais légal. Puis il enchaîne avec la découverte de Myanmar. «La Birmanie est devenue mon pays de cœur, c’est là où j’ai compris ce qu’était la vraie vie. »

 Cette exploration est soudainement paralysée par ses maladies puis la pandémie. Et aussi parce que Baptiste développe un scénario autour de la maladie de sa mère, « Le Bleu de la Mer ». « J’ai écrit un premier jet où l’émotion était trop forte, le fruit encore trop mûr. Alors j’ai investi une très grosse somme, via Shelduck, pour qu’il soit pris en charge par la scénariste professionnelle qu’est Pascale Rocard. C’est devenu une très belle histoire, qui mélange les rires et les pleurs avec une fin ouverte. Le casting est par ailleurs bouclé. »

OK… mais pas le budget de trois millions.

Revenir aux sources

Pour boucler son financement, Baptiste mise sur l’engouement autour de sa Shelduck TV qui lui apportera une partie des fonds. Et il initie une nouvelle aventure avec Shelduck Food. « Je reviens aux sources de mon premier métier. À partir d’une recette imaginée durant mon apprentissage, j’ai crée les Ownies, une pâtisserie réinventée. Depuis un an, je l’ai fait déguster à une centaine de personnes et j’ai tenu compte de leur retour. Deux grandes surfaces sont intéressées par la distribution et la production doit être externalisée auprès d’une usine en Suisse. »

Aux dernières nouvelles, la perle rare a été trouvée et les contrats en phase de finalisation. Baptiste porte un immuable bandana. Il se refuse au port du costard cravate comme son idole, le barbu remuant Richard Branson. « Oui, c’est un exemple pour moi car il se permet tout. » Ben, à présent, ils sont deux.

Joël Cerutti

Pour en savoir plus: https://shelducktv.com/

https://www.creaholic.com/fr/our-work/shelduck-tv

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