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Adepte des créations décalées, la peintre Céline Salamin délaisse le banal catalogue d’exposition pour publier un calendrier. Qui se mue aussi en cartes postales. Portrait d’une pirate qui vivifie les codes de la nature morte.

 

Céline Salamin te le garantit dans sa cuisine, entourée par des dizaines de plantes vertes évidemment magnifiques : « Je vais relancer l’industrie de La Poste. » La peintre te l’assure avec son humour pince-sans-rire qui laisse perplexes les Moldus des zygomatiques. Je reviens à sa citation. Pourquoi ? Comment ? Par quel miracle ?

 

Céline publie un calendrier 2020 qui reprend les tableaux de sa dernière exposition : 52 représentations d’un bouquet de fleurs.

 

Une fois la semaine fanée, oh le bô miracle, la page se transforme en carte postale. Contrairement aux calendriers des Postes, celui de Céline n’existe pas en tripette d’exemplaires. « Entre les précommandes, ceux qui se sont déjà vendus et ceux que je viens de redemander à l’imprimeur, il en reste quelques dizaines. Cela doit être un objet à tirage limité. S’ils sont épuisés début décembre, cela sera tant mieux pour celles et ceux qui l’ont déjà acheté. »

À ce stade de ta lecture, tu pourrais croire que parler d’un calendrier sur un site qui cherche l’étonnant tombe dans l’anecdotique. En premier lieu, je te demanderais de penser plus poliment. En second, tu vas te prendre une leçon démonstrative sur la fausse apparence des choses. Tu l’auras bien cherchée !

Céline mérite déjà la haute distinction de Maquisarde du Figuratif.

Elle a connu la transmutation d’École des Beaux-Arts (sur Sion), sa mue en ECAV (sur Sierre), dans les locaux de l’ancien hôpital. « On est passé d’un lieu vétuste où l’on pouvait mettre le feu à des volets avec un simple briquet à des salles repeintes en vert. Entre deux, tous les profs qui m’avaient appris à peindre se sont fait lourder ! »

Elle s’obstinait – avec quelques autres – à réaliser des œuvres figuratives, banalement avec des pinceaux à poils, sur une toile tendue et un bourgeois de chevalet. Pouah!

Céline s’est retrouvée avec les « réserves » de ses nouveaux enseignants. Une sorte d’avertissement que si tu ne t’améliorais pas, tu perturbais tes études… Alors Céline leur a servi une bonne grosse louche de conceptuel. « J’ai dessiné au feutre indélébile sur un mur, j’ai pris des photos, ils ont adoré. » Diplôme décroché en 1999 à la satisfaction mutuelle des deux parties. On dira ça comme ça.

Céline, depuis, fonctionne dans ses projets artistiques en s’imposant des contraintes ironiquement décalées. Dans sa trentaine d’expos collectives et la dizaine personnelle, elle accroche aux cimaises les cadres les plus rococo ou invraisemblables. Elle les déniche dans les brocantes ou sur internet.

Céline pirate la nature morte qu’elle revivifie avec ses codes personnels.

Elle peint des suites de torchons façon grand-mère. Elle aligne olives, piments, betteraves, bananes. Elle se focalise sur les boutons-pressions ou les doudous des panoplies enfantines. Elle réalise des fausses cartes postales touristiques. Elle immortalise 250 oreilles durant quatre ans. Elle a aussi traversé des périodes « nez », « mains », « nombrils » ou « petits pots » (cherche l’intrus).

Et puis, en 2018, elle a foncé plein pot vers d’autres récipients plus grands, ceux aptes à contenir des fleurs. Assagie, Céline ? Tu penses bien que cela n’allait pas être simple. « De janvier à décembre, je me suis imposé un tableau par semaine. Je devais peindre des fleurs qui je trouvais sur mon chemin, chez mes voisins. Elles ne devaient pas venir d’un magasin. Ce contexte bien déterminé m’a bouffé une monstre énergie ! » Sur une semaine se chevauchaient trois œuvres : celle de la précédente à finir, celle du moment à réaliser, celle de la suivante à préparer…

« Heureusement, je ne suis pas tombée malade, personne dans ma famille ne l’a été, et je ne me suis pas cassé le bras. »

Un délai temporel s’ajoute à cette démarche : l’exposition à la Galerie Grande Fontaine fin janvier 2019 dont l’accrochage doit comprendre les 52 tableaux chronologiquement numérotés. Quitte à corser les réjouissances, au lieu d’un catalogue, Céline estime qu’un calendrier, ça ne serait pas si mal dans le chouette… Ce qui signifie apporter les œuvres chez un photographe professionnel AVANT le vernissage. « Immodestement, je me suis douté que cela allait se vendre… »

L’artiste, sur les rotules, connaît alors un pinacle de 6 minutes 58 secondes le 10 février 2019. « J’ai eu une interview, sur La Première, dans l’émission de radio « Monsieur Jardinier », cela a été le sommet. Je me suis finalement fait plaisir avec mes petites fleurs préférées. »

Céline a boudé les orchidées (« Elles sont too much. »), snobé les iris (« Elles sont hyperstructurées, ça dégouline. »), évité les pissenlits et les branches de cerisier. Elle se dit qu’elle pourrait remettre les couverts. « Je m’offre une pause, le temps d’attendre que plus de palmiers poussent en Valais. » Plus tôt peut-être car elle a repéré un talus, proche de chez elle, dont elle immortalise la flore une fois par mois. De quoi, éventuellement, repartir sur un calendrier dans quatre ou cinq ans, qui sait. Son premier, elle l’a réalisé avec un graphiste, « imprimé avec des gens du coin » et elle l’écoule en des points précis ! Grouille-toi à l’acquisition car ça sent le collector !

En ce moment, Céline s’intéresse aux fruits et aux légumes qui germent ou se décomposent. Dans son atelier, elle me montre un citron quasi fossilisé, don d’un autre artiste, Pierre Zufferey. « J’ai même vendu un tableau avec une mandarine moisie alors que j’étais sûre que cela n’intéressait que moi… » Tout faux, la déliquescence fascine. Même si je doute que cela aboutisse sur un nouveau reportage chez « Monsieur Jardinier ».

Joël Cerutti

Points de vente du calendrier :

https://labullesion.ch/

https://www.aupanierfleuri.ch/fr/

https://www.librairie-baobab.ch/

http://www.tiramisunet.com/

https://www.facebook.com/aupetitformat/

Le site de Céline : https://www.celinesalamin.ch/
 
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