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Voici quasi un siècle, Charles Dellberg devient le premier socialiste à entrer à Grand Conseil valaisan. Le 21 mars 1921, il refuse de prêter serment. Il est aussitôt bizuté dans les règles de l’art politique.

 

Au printemps 1921, ô joie, ô bonheur, ô priapisme des urnes, les partis politiques valaisans sont heu-reux. Ils dansent la gigue comme un Zébulon qui aurait trop sniffé des trucs en poudre. Pour la première fois, en mars 1921, les élections au Grand Conseil s’effectuent à la proportionnelle. Malgré une forte sécheresse qui frappe le pays de janvier à avril 1921 (les gouttes de pluie se mettent aux abonnées absentes), cette campagne électorale a suscité des débats fleuve dans la population (128 246 habitant.e.s). Cette façon de voter plonge les observateurs dans une euphorie stratégique. Le Nouvelliste, le 8 mars 1921, s’enthousiasme dans ses valeurs catholiques. « Quelle victoire ! Quelle splendide victoire, moins de trois mois après les élections communales qui avaient laissé un certain malaise, lequel se traînait, à l’instar d’un brouillard épais, sur le pays ! » Cela se traduit par 73 députés conservateurs au Grand Conseil. Youpi, quoi. 

Les lecteurs sont des moules

 Les radicaux-libéraux placent trente élus, soit sept de plus que sous l’ancien système, et se rengorgent tel le crapaud buffle mégalo. « Les journaux conservateurs appellent ce recul de leur parti : une victoire. Il faut croire qu’ils prennent leurs lecteurs pour d’excellentes moules qu’on peut apprêter de toutes manières. », attaque en synthèse Le Confédéré. Tournée générale, tu nous remets la petite sœur, en résumé.

Une élection ne passe pas non plus inaperçue, celle de Charles Dellberg, le premier député socialiste qui entre, à 35 ans, au Grand Conseil. Le Nouvelliste le prend avec une certaine bonhomie le 10 mars 1921 : « M. Dellberg ne manque ni de talent, ni de savoir-faire, ni d’habileté. Dorénavant, on sera quelque peu mal placé, au-delà de la Raspille, pour tempêter après ces mécréants du Bas-Valais.»  Le plumitif qui a usité de cette compassion matoise ne sait pas ce qui attend le Grand Conseil. Karl ou Charles Dellberg a fondé le Parti Socialiste valaisan (en 1919).

Ses potes lui attribuent le surnom fort connu de « Lion ». Il rugit à refiler de la calvitie à une crinière, Dellberg.

« Cet écorché vif criait comme sous la torture lorsque son sentiment de la justice était heurté », décrit Aloys Theytaz, le 5 mars 1966 dans le journal La Patrie valaisanne qui taxe Dellberg de « Pape Rouge ». Comme nous sommes sur cette épineuse question…

« Âme attristée »

Lors de la cérémonie de l’assermentation, Dellberg suscite un premier scandale. Le Nouvelliste n’en revient pas, le 22 mars, en page 3. « Fait nouveau dans nos annales, fait qui ne manquera pas de surprendre ni d’attrister l’âme croyante de nos populations, deux représentants du peuple ont refusé de prêter serment. MM. Charvoz et Dellberg ont simplement promis de remplir leur fonction dans Ies limites légales. » Juste en-dessous de l’entrefilet relatant ce drame idéologique, un peu de pub de l’époque, histoire que tu te remettes de tes émotions.

 

Dellberg paie aussitôt cet affront. Le lundi 21 mars, Il se fait bizuter dans les règles par les vieux renards du Grand Conseil. Ceux-ci commencent par oublier de citer son nom dans la liste des présences. Dellberg crie.

« M. le député Dellberg doit faire erreur. Son nom figure sur la liste et a été lu comme les autres » (rires dans la salle), rectifie M. Gard. Ensuite, on lui fait sentir, à l’inexpérimenté, que ce n’est pas le moment de la ramener. « Ainsi, voudrions-nous voter pour M. Dellberg que nous ne le pourrions pas puisque son élection fait l’objet d’un recours… », persifle un certain Couchepin (allusion sans doute à un recours dans le district de Conches, écarté…).

 « Réclamé pendant dix ans »

Le 9 mai 1921, Le Lion, a repris du poil de la Bête. Il boulotte les gris et poussiéreux goupils qui siègent depuis si longtemps. Il intervient à tous les niveaux, reprochant par exemple de ne pas recevoir à temps les projets de loi. « Il est parfois très difficile à la Chancellerie de les faire tenir à Messieurs les députés dans le délai réglementaire, les derniers temps avant la réunion du Grand Conseil étant particulièrement chargés de travail pour elle. » Qu’on lui répond.

Photo d’époque de Dellberg à quelques années près…

Dallèves en remet trois couches: « II y a beau temps que d’autres députés ont fait les mêmes observations que M. Dellberg vient de faire ; mais aussi longtemps qu’un simple député bourgeois a fait valoir ses légitimes récriminations, on a passé outre. Espérons que lorsque M. Dellberg aura réclamé pendant dix ans, il aura enfin obtenu satisfaction. (Rires) ».

Dans les séances suivantes, le frais député déploie une énergie des plus revendicatrices, il se glisse dans tous les débats : sur les comptes, le chômage (4500 chômeurs fin 1921), la conciliation.

Le 16 mai, il demande même que l’on publie dans la presse les amendes prononcées contre certaines fabriques. De plus en plus agacé, M. le conseiller d’État Maurice Troillet lui rétorque : « Je ne vois tout d’abord pas quel intérêt on peut avoir, à Brigue, qu’une amende ait été prononcée à Monthey. Nous avons autre chose à faire que de remplir le Bulletin officiel de cette matière. » Les deux lascars se regardent comme deux matous castrés, à la diète, devant la même écuelle. C’est à celui qui bouffera les croquettes light en premier ! Nous voilà parti pour gerbes d’étincelles au Grand Conseil jusqu’en 1965, le temps qu’y restera Dellberg. Banzaïïïï !

Joël Cerutti

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