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Le métier de forgeron se perd ? Tu le retrouves avec Guillaume Laval à Beuson. Dans sa Forge de l’Ours, il délivre ses connaissances aux apprenti.e.s de tout âge et de toutes régions. Moments d’humour et de didactisme.

 

Guillaume Laval me la joue à la Depardieu dans « Les Valseuses » : « On est pas bien, là ? Sans patron ! » (ouais, je sais, Depardieu dit un peu autre chose dans « Les Valseuses » mais je reste prude en début d’article). Depuis plus d’une heure, le mardi 22 octobre 2019, je tape l’incruste dans sa Forge de l’Ours à Beuson. Une des rares du canton. À la connaissance de Maistre Laval, il devrait y en avoir trois en Valais, des couteliers comme lui. Dont un à qui il a donné l’impulsion de départ. « Le métier se perd en Suisse alors qu’en France il est bien reparti. Je caricature un peu mais il y a presque un coutelier par ville, à présent… »

« Un métier de passion »

Guillaume, je l’avais côtoyé une première fois pour mon second guide (p. 164), alors je te l’écris brève côté bio. Initialement géographe de formation, il a débarqué en Valais, chouchouté les canons à neige de Veysonnaz, roupillé dans son bus, été bénévole dans des festivals divers. Puis il a été s’initier à l’art de la forge chez Jean-Luc Soubeyras (http://www.couleursdeforge.com/), Pierrelatte (suivre la direction « Ferme aux crocodiles » dit le plan). De Soubeyras, Guillaume garde la profonde maxime : « C’est en forgeant que l’on devient marteau ! »

Guillaume se fixe à Beuson, retape une maison de 1752 où il transforme ce qui était un chemin de passage en forge (voisins quand même un peu inquiets au départ…). Terminés, les jobs alimentaires, coutelier il sera et uniquement ça. Question tarte à la crème : « On me le demande souvent, oui, si j’en vis. C’est un métier passion, la richesse vient de ta qualité de vie. J’ai assez de commandes mais tu ne regardes pas ton salaire horaire ! » Futé comme pas deux, il se débrouille avec sa famille et un mode d’existence alternatif.

Très souvent, il prend des stagiaires, Guillaume. « Du jeune de 14 ans au directeur de grosse boîte de 60 ans, il y a toujours un lien plus ou moins fort qui se crée. Ces initiations sont propices à de belles rencontres, il y a toujours l’étincelle… », m’écrit Guillaume, quelques heures plus tard. Parce que là, ce matin, je lui fous la paix, je n’interfère pas dans le cours qu’il délivre à Thierry, de Genève, en vacances dans les alentours valaisans.

A la Forge de l’Ours, le stagiaire bosse!

Durant deux jours, il donne naissance, coup de marteau après coup de marteau, à un « couteau plate semelle ». Du qui servira « pour manger tous les jours ». Le duo effectue des allers et retours entre la forge à gaz et une des trois enclumes. La plus grosse. Trouvée sur Facebook à ce que je comprends. « C’était une petite fille qui vendait l’enclume de son grand-père. Plus de 150 personnes l’avaient contactée mais pour fondre l’enclume et récupérer l’acier. Je lui ai écrit, elle a passé la nuit dessus, et le lendemain l’enclume était pour moi… » Avec une condition posée : venir la chercher tout de suite ! Il ne s’est pas fait prier, le Guillaume ! Je l’observe dans son rôle de prof. Il montre, il détaille, il explique, il conseille… sans jamais donner un seul coup à la place. « Je laisse tout faire au stagiaire, le but du jeu c’est qu’il réalise un truc par lui-même… »

Il rassure Thierry sur la transmutation du métal en objet. « Mon maître me disait : « Tant qu’il y a de la matière, il y a de l’espoir. Il faut que ça soit toi qui la guides car tu vas remarquer qu’elle ne se laisse pas faire. » Thierry voit comment respecter la température. « Quand l’acier devient gris, tu arrêtes, il est trop dur. » Plus tard, encore par Messenger, Guillaume me met au parfum: « Il y a des étapes cruciales qu’il faut respecter avec des formes strictes et correctement proportionnées. Entre celles-ci la matière subit des déformations importantes qui peuvent faire peur au néophyte.» 

Lorsque l’acier orange tombe de l’enclume au sol (j’aimerais t’y voir, c’est pas simple !) Guillaume glisse à Thierry un « C’est parce qu’il en a marre que tu lui tapes dessus ! » Les secrets se délivrent progressivement. « Prends appui sur la cuisse, tu envoies la force dans ce sens-là. » Petites digressions, entre deux, sur la nouvelle génération de forge à induction, sur ce forgeron israélien qui a imaginé des outils plus ergonomiques. « Il a réalisé des vidéos, va voir… Moi, j’ai corrigé mes manches de tenailles pour qu’elles soient plus serrées. Elles présentaient des défauts et c’est bien d’avoir les meilleurs outils possibles. »

Guillaume Laval, dinandier?

Juste avant que je ne tire la révérence de ma visite, Guillaume m’assène son coup final, sa surprise rien qu’à lui. « Ah oui, j’ai récupéré, dans la Drôme, l’atelier complet de Nestor Clément, un dinandier réputé… » Dinandier ? Je fronce les sourcils, quand tu ne sais pas, cela ne sert à rien de se donner la contenance entendue de l’intello, tu demandes. « La dinanderie, c’est l’art de travailler le cuivre, l’étain, le laiton ou l’argent. Clément, avec une plaque plate, il arrivait à te faire un superbe bustier de femme. » Quelque chose me susurre à l’instinct que Guillaume s’y attellera sous peu, à la dinanderie. Et moi que je remonterai à Beuson. Les bustiers, cela stimule les curiosités.

Joël Cerutti

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