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Guy Aebischer œuvrait dans la biotechnologie. Il s’est reconverti avec une miction aphrodisiaque : La Pisse du Diable. La liqueur célèbre en juillet 2020 ses cinq ans. Le temps qu’il aura fallu pour répandre sa bonne parole dans toute la Suisse romande.

 

Des Ponts du Diable, en Valais, Guy Aebischer en a compté cinq. Par contre, sa Pisse du Diable se révèle unique en ses bouteilles. Malgré (ou à cause de…) son nom satanique, elle promet de te rendre heureux, de te mettre du baume au cœur, de rehausser ta courbe pour durcir celle de la démographie, de sauver le FC Sion (il y a une mission quasi impossible dans mon énumération, je te laisse choisir laquelle). Depuis cinq ans, Guy arpente, écume, persuade les petits commerces de lui prendre quelque stock de ses sulfureuses bouteilles (dites aussi « Teufelsbrunz » en allemand, ce qui sonne moins poétiques aux oreilles). Notre missionnaire du Belzébuth distillé se montre persuasif, tu en déniches quasi partout du Valais à Fribourg en passant par Genève. Guy, je l’avais rencontré à ses débuts, voici quatre minuscules années que toi et moi n’avons jamais vues passer, durant lesquelles nous nous sommes encore rajeunis d’esprit grâce à un pacte faustien.

« Pas tout prendre au sérieux, non ? »

Ce matin de mars 2016, à l’entrée d’un magasin à Morgins, Guy interpelle avec bonhomie les clients qui passent. « Madame, monsieur, une liqueur La Pisse du Diable ? Une petite dégustation ? Comment vous la trouvez ? Cela vous plaît ? » Beaucoup, amusés, cèdent à cette tentation basée sur du marc, de la lie, du gingembre et d’autres ingrédients à damner vos saintes papilles.

Le credo/mantra de la boisson concernée.

Cette autre dame – une skieuse – trace sa route dans le magasin en répondant : « Ah non ! La piste, je l’ai déjà faite ce matin ! » Les petites rebuffades amusées, Guy les connaît bien. « Il y a des gens, surtout des vieilles personnes, qui avouent ne pas vouloir consommer une boisson qui porte ce nom-là. La grande partie, surtout les jeunes autour de 30 ans, comprend qu’il s’agit d’humour. Il ne faut pas tout prendre au sérieux, non ? »

Guy Aebischer baptise en public et à Massongex sa liqueur dès juillet 2015. Son premier client ? Le curé de Monthey ! « Je lui ai tendu un verre en lui disant que c’était de son domaine ! Il a apprécié, j’ai ainsi reçu la bénédiction du clergé et les autres clients ont suivi… »

« Jamais tu n’oseras ! »

Dans ce domaine, Guy Aebischer sait s’y prendre. La vente et le contact, nul besoin de lui apprendre les règles. « Avant, je travaillais dans le commerce international. J’étais directeur commercial d’une agence américaine spécialisée dans la biotechnologie », décrit notre Gruyérien de naissance.

Puis, la retraite venue, il rejoint son épouse sur Monthey. Pas son genre de se rouler les pouces, La Pisse du Diable se distille petit à petit dans ses projets. Il la conçoit, la teste sur sa famille. Lors d’une tempête de cerveaux et de palais, Guy Aebischer déniche le nom de son breuvage en compagnie de ses frères. « Jamais tu n’oseras mettre Pisse du Diable sur tes étiquettes ! », le défient-ils.

Pari relevé et accompagné, sur le site ou dans les prospectus, d’une légende où la vessie de Satan tient un rôle majeur. Parce que je suis d’une humeur angélique, je me risque même à te la glisser in extenso en mon âme damnée et en conscience de gosier :

Il y a fort longtemps, dans les Alpes, Le Diable construisit pour les hommes un pont au-dessus d’une gorge inhospitalière en échange de la vie du premier utilisateur de cet ouvrage.
Les hommes acceptèrent ce contrat mais envoyèrent un bouc pour passer ce pont en premier.
Se sentant grugé, le Diable sombra dans une colère épouvantable et tenta de détruire le pont.
Mais celui-ci avait été construit trop solidement et était désormais protégé par une croix de pierre.
Furieux, le Diable revint la nuit sur le pont pour uriner longuement dans le torrent afin d’empoisonner les habitants de la vallée. Les eaux jusque-là limpides prirent une forte coloration dorée qui dura plusieurs jours.
Les habitants, méfiants, refusèrent de boire cette eau colorée. Mais un berger en remplit quelques bouteilles qu’il oublia dans sa cave.
Trois siècles plus tard, on retrouva ces bouteilles par hasard et l’on constata que la Pisse du Diable s’était transformée en délicieuse liqueur au goût fruité, légèrement aphrodisiaque, que l’on s’empressa de reconstituer.
Elle vous est proposée aujourd’hui pour votre diabolique plaisir.

« Et c’est parfait pour un coup du milieu lors d’une raclette et d’une fondue », complète Guy, par ailleurs grand fan d’Eddy Baillifard (et nettement moins des radars sur les autoroutes, si je me fie à ses publications sur FB).

La philo du petit commerce

Depuis l’été 2016, Guy Aebischer écoule sa Pisse du Diable dans des petits commerces. Uniquement les petits commerces. « Je ne me vois pas apporter deux palettes dans une grande surface. C’est contraire à ma philosophie. J’aime la proximité. À Saint-Pierre-de-Clages, La Potagère a été la première à me prendre un carton avec six grandes bouteilles. La gérante, Marie-Cécile, avait été séduite uniquement par le nom ! »

Au volant de sa noire voiture, Guy Aebischer accompagne sa création partout en Suisse romande… Le soir, sa femme colle les étiquettes sur les bouteilles. « Elle m’interdit de le faire parce qu’il paraît que je ne les mets pas droit ! Elle m’aide, elle apprécie aussi quand je pars pour les dégustations. Elle reste tranquille. »

 

Le regard matois et la moustache entendue, Guy Aebischer ne cache pas que les « mictions » de sa liqueur pourraient avoir des petites sœurs. Reste à lui trouver un nom toujours infernal ou plus… angélique. Il a commencé ses recherches en 2016 qui semblent encore durer en 2020. Lorsque je lui demande – au moins deux fois – ce qui a changé pour La Pisse depuis notre interview, il me renvoie : « Rien. À part le Corona. » Il oublie de me dire qu’il a menacé de se mettre à nu sur FB s’il vendait plus de 1 000 bouteilles lors d’une manifestation. Qu’il s’était mis à vapoter. Et que sa Pisse n’était toujours pas remboursée par les caisses maladie. Ce qui frise le scandale.

Joël Cerutti

www.la-pisse-du-diable.ch

 

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