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Comment se passe le pari fou de reprendre une librairie en centre-ville, à Sion ? Une année après la réouverture de la Bulle 2.Ø, la curiosité de l’envie de savoir le pourquoi du comment m’a saisi. Le mercredi 2 octobre 2019, réunion avec le trio. J’y ajoute un rappel des faits daté du 7 juillet 2018.

 

Des librairies de BD, en Valais romand, il en reste deux et deux seules. Une sur Martigny (https://www.zalactoree.com/), une autre sur Sion : https://labullesion.ch/. Dans le reste de la Suisse romande, les Mohicans se comptent quasi sur les doigts de la main d’un scieur professionnel. J’admire ces Résistants des Phylactères ! À Sion, La Bulle 2.Ø présente des particularités que je te laisse (re) découvrir. Il y a eu un premier article, qui a précédé la réouverture de septembre 2018. Et le second, frais d’octobre 2019. Un avant et un après car les sujets existent pour être suivis, non mais !

Avant : 6 juillet 2018

Un trio de libraires va s’éclater à La Bulle 2.Ø

Au cœur de Sion, trois jeunes libraires reprennent La Bulle, établissement hautement spécialisé en BD. Un %£&*+ de défi que vous vous devez de soutenir à fond les phylactères !

Alors ? Finie ? Morte ? Enterrée, La Bulle ? L’actuelle propriétaire Christine (Baumgartner) le proclame à sa façon sur un petit panneau, derrière la porte d’entrée : « Fermeture 30 juin. Vive la retraite. Merci à tous. » Depuis plus de vingt ans octobre 1996 ou début 1997, Christine s’en tape des dates – La Bulle s’est inscrite dans l’ADN du biotope de l’épigénétique du centre-ville à Sion. La librairie spécialisée en BD – une des rares du genre à subsister vaille que vaille en Valais – faisait quasi partie des meubles, avec ses 220 mètres carrés. Et là, Christine a envie de souffler, de tout ranger chez elle, de se mettre au vert. Normal, depuis 1984 qu’elle s’investit dans le 9e art, un peu d’oxygène, cela devient comme nécessaire.

Ce vendredi 6 juillet, à l’intérieur de La Bulle, il ne subsiste plus que des squelettes d’étagères, vide de la chair des livres. Ceux-ci sont rangés dans des cartons étiquetés. Depuis qu’elle a annoncé que la clé serait sous le paillasson, il y aurait eu comme des bulles – spéculatives cette fois – dans l’air. « L’autre jour, j’ai eu un architecte connu de la place qui est entré, décrit Christine. Il s’est comporté comme s’il allait reprendre le tout. Il m’indiquait ce qu’il voulait garder et ce qu’il voulait vendre. » Damned, encore raté ! La librairie ne se transformera pas en un énième magasin de nippes friquées ou branchées. Pas plus qu’en une agence immobilière.

La librairie restera une librairie. Non ! ? Mais si ! Les sauveurs s’appellent, par ordre alphabétique, Anna (Martins), Julia (Vecchio) et Mohan (Bianco).

« Serrer les fesses »

C’est par ce dernier que le témoin s’est passé. « Je travaillais dans une autre librairie, La Liseuse, à quelques mètres de La Bulle. Avec Christine, nous prenions souvent le café ensemble. L’idée est venue progressivement… », indique Mohan. Le rejoignent dans l’aventure Julia, également formée à La Liseuse (parfois « serveuse médiocre » à La Grenette) et Anna, illustratrice de formation (mais qui aussi œuvré à la librairie Filigranes de Bruxelles, rayon BD, jeunesse et Beaux-Arts).

Chacun.e sait ce qui l’attend.

« J’ai serré les fesses pour conserver cette librairie. C’était un truc chouette et je savais dès le départ que cela ne serait pas facile ! », résume Christine, nantie de son expérience.

BD, occases, sérigraphies et plus si affinités

Le trio qui s’active à cette Bulle 2.Ø ne s’attend pas à se sortir un salaire mirobolant, qu’il devra garder d’autres activités en parallèle. Mais il est issu d’une génération qui gère avec un regard alternatif les notions de réussite. Sans périphrase : avant le pognon, avoir du plaisir dans un job voulu et décidé ! Dans « leur » nouvelle Bulle, ils misent sur d’autres forces qui pulsent dans Sion. « Il y a des réseaux de jeunes créateurs qui s’installent, comme à La Cabine », observe Anna, dont le carnet d’adresses associatif servira la cause de La Bulle 2.Ø… Sur le site www.labullesion.ch, les envies dépassent la théorie. De la BD bien sélectionnée il y aura. Et encore un atelier de sérigraphie. Et encore un coin de livres d’occasion en osmose avec François Pellissier. Et encore des productions d’artistes locaux dans la papeterie. Et encore des cours, des dédicaces. « On veut que les gens voient que nous sommes des jeunes, sympas, mignonnets et qu’ils n’aient surtout pas peur d’entrer », résume Julia.

Renaissance en automne

En gros de La Bulle « ancienne », le trio hérite des meubles (« Un mobilier comme ça, ça ne se fait plus », commente Christine), d’une partie des stocks (« Depuis quatre jours que nous faisons des cartons avec Christine, on ne s’est pas tapé sur la figure », dit Mohan) et d’un défi de relance. Il a constitué une SARL pour gérer cette aventure… qui passe par une collecte de fonds.

Devant La Bulle, une passante lit, en se pinçant le menton, le panneau de Christine sur les joies de la retraite. « Ce n’est pas fini, Madame ! On rouvre en septembre ! », garantit Mohan. « Je viendrai guigner », promet Christine qui aime avoir le dernier mot.

(première parution sur le site alternative-tv.info H.S. depuis quelques mois pour cause de virus…)

Aujourd’hui : 2 octobre 2019

La Bulle 2.Ø : « On est en constante mutation, tout le temps ! »

Vœux publiés sur la page FB fin 2018. Le trio m’a conseillé de choisir cette photo…

Comment se passe le pari fou de reprendre une librairie en centre-ville ? Une année plus tard, la curiosité de l’envie de savoir le pourquoi du comment m’a saisi. Le mercredi 2 octobre 2019, réunion avec le trio.

De ses coutumiers traits d’esprit cinglants, Julia me fournit ma phrase d’accroche : « Je trouve qu’on n’a pas la gueule d’une épicerie fine, je suis assez contente… » Elle aurait pu parler de souk, au sujet de La Bulle 2.Ø car les mètres carrés grouillent d’activités soutenues.

Tu en franchis le seuil, bien t’en prend. « Un spécialiste nous a dit que nous avions la meilleure sélection de BD indépendantes vue depuis longtemps », se félicite le trio qui assure aussi les classiques du 9e art. « On suit les séries, on gère les commandes, cela tranquillise aussi l’ancienne clientèle… »

La singularité (d) étonnante des lieux naît des mélanges car tu y ajoutes des étagères grandissantes de bouquins en seconde main. « On trie beaucoup, ce que l’on ne garde pas, on le remet en circulation dans des boîtes à livres… Il peut y avoir des jolies trouvailles comme cette édition originale du Petit Prince, de 1945… »

Troisième pilier du cocktail, l’atelier associatif du Singe Vert et ses sérigraphies. « Les initiateurs eux-mêmes ont été surpris de l’engouement. Au début, ils pensaient que notre fréquentation serait plus confidentielle, ils se sont vite alignés ! C’est un excellent produit d’appel… »

 « Chacun s’y retrouve »

 En l’espace de quelques lignes, tu cernes le traquenard, tu renifles le piège ? Tu te montres intéressé par une BD, tu ressors avec un t-shirt et un livre sans image ! « De l’enfant à l’adulte, on a un peu de tout, chacun s’y retrouve. »

En légèrement plus d’un an – inauguration le 15 septembre 2018 – l’endroit a dégagé de nouvelles énergies.

« Toutes nos idées se sont concrétisées, nous avons multiplié par trois notre stock de BD alors que nous avons très peu de budget », indique Mohan… Comme prévu, le trio n’a pas mégoté sur les horaires. « On savait qu’on allait morfler ! », avoue-t-il. Depuis l’été, il tente de concentrer entre 9 et 18 h 30, l’administratif nécessaire à la vie d’une librairie. « À part la compta », ajoute Mohan. Toujours comme annoncé, pas encore de salaire, chacun.e se débrouille avec une financière existence parallèle. « Nous verrons ça dans un an. Et puis il y a encore les impôts qui nous attendent et là on ne se rend pas encore compte… », avoue surtout Mohan. Là. Voilà. Je t’ai évacué le côté terre à terre, je me focalise sur l’entreprise vivifiante, sur le pari zarbi. Car La Bulle 2.Ø n’est pas programmée à la monotonie. Purée diantre de fichtre que nenni non point !

C’est un pôle vivant d’humains, celui qui t’injecte de l’adrénaline pour se décarcasser.

La Bulle 2.Ø sait t’appâter par des résumés de BD ou de livres sur FB ou Instagram. Perso, je les adore. Julia joue à sa cynique : « Il n’y a que ma mère qui les lit… » et ça ne marche pas longtemps. « Il y a des retours affolants, des clients qui viennent avec des captures d’écrans et qui veulent voir le livre en vrai. Pour nous, cela nous permet aussi de bien conseiller les lecteurs, le pitch est déjà prêt dans notre tête… », reprend Mohan.

L’avantage des réseaux – qui peuvent parfois bien porter leur nom – c’est qu’ils éliminent les filtres avec des idoles. « Lorsqu’un auteur me remercie pour une chronique, j’ai une danse de joie durant 30 minutes… » décrit Julia dont les résumés ne seraient donc pas uniquement lus par sa maman.

Par ailleurs, mais surtout à La Bulle 2.Ø, les artistes y ont trouvé un lieu d’asile bien foldingue. Les petits concerts, les dédicaces, les lectures, les décorations de vitrine contredisent la routine (regarde la galerie, tu comprendras !).

Tendance à la collaboration

« Par nos réseaux respectifs, nos potes illustrateurs ou musiciens sont venus, d’autres se sont proposés spontanément. Il n’y a pas vingt-sept locaux à Sion, situés comme nous le sommes et avec un accueil cool comme le nôtre », observe Anna.

Les vitrines reflètent diverses actualités et permettent de jeter un œil discret sur l’intérieur. Ce qui a valu un bémol pas attendu. « Il y a cette dame, agressive à la base, qui n’a pas aimé un t-shirt du Singe Vert (« Come on Jesus, Clap your hands »). Je lui ai répondu qu’elle pouvait reprendre son avis et passer la porte… », détaille Julia. « Il y a des bonnes sœurs qui viennent dans le magasin et ne nous disent rien. Nous faisons aussi des vitrines pour enfants, nous ne sommes pas dans la provoc… », complète Anna.

Bien plus encore que le réseau social, le facteur bipède a vite répandu la bonne parole de La Bulle 2.Ø. Celle-ci a semé ses livres en d’autres lieux comme le Café des Châteaux, La Cabine, le défunt Hectolitre. « C’est la tendance actuelle de collaborer, de se mélanger basiquement. Nous nous faisons de la pub mutuelle, nous sommes tous derrières nos claviers à nous promouvoir. »

Après le temps des cathédrââââââles qui partent en fumée, je sens poindre celui de la fin de cette rencontre. L’humus de La Bulle 2.Ø ne semble pas en sèche jachère. « On passe dix minutes à discuter entre nous, nous avons dix idées qui sortent. On est en constante mutation, tout le temps. » Au final, je repars avec un sac de haricots coco légué par Anna – issu du jardin maternel – que je me dois de cuisiner sous peu. Aujourd’hui, tiens…

Joël Cerutti (qui regarde bouillir l’eau des haricots)

Page FB : La Bulle 2.Ø

Ce site a évidemment besoin de partages pour se développer. Tu as savouré gratos cet article? Mon seul salaire est que tu le fasses circuler!

 

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