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Après leur travail sur les vignes sierroises, les moutons retournent dans leur patrie d’origine, au pied du Cervin. La famille Rouvinez leur rend visite… Photo Olivier Maire

En un petit mois, la cuvée 2017 de Nez Noir des Domaines Rouvinez s’est retrouvée en rupture de stock. Cet assemblage de rouge bio a connu un concours de circonstances plutôt surprenant et (d)étonnant. Plongée unique au cœur de ses barriques.

 

Il a failli s’appeler St. Marcel, d’après le Clos à Grône où sont plantées certaines vignes bios de la famille Rouvinez. Puis, en décembre 2018, il s’est transmuté en Nez Noir. Nettement mieux, tu ne trouves pas ? Car un nom de vin qui aurait évoqué un maillot de corps (Marcel, donc…), ce n’est peut-être pas le top pour sa robe.

Arrivé sur le commerce début mai 2019, Nez noir a brouté ses stocks en un temps record. La cuvée 2017 – soit 12 000 bouteilles – s’est épuisée en un seul minuscule et infime petit mois.

« J’étais abordée dans la rue par des gens qui découvraient ce nouvel assemblage et qui me disaient combien ils l’avaient adoré. Cela faisait chaud au cœur ! », dit Véronique Besson-Rouvinez, responsable de la vinification et de l’amélioration continue.

Bien plus tôt que prévu, la cuvée 2018 a pris le relais et propose 30 000 bouteilles. « Le temps d’imprimer les nouvelles étiquettes, de nous assurer que la qualité était au rendez-vous, cela a pris un mois et demi… »

Les fans en manque peuvent depuis peu à nouveau humer du Nez Noir, qui réunit les senteurs et les saveurs des cépages Merlot, Syrah et Gamaret.

Nez Noir, un travail de longue haleine

Derrière cet engouement se dissimule une lente maturation avec une conjonction de facteurs chanceux plutôt rarissime.

Nez Noir n’est pas venu paître dans ton palais sur un simple coup de sabot.

Le travail de longue haleine commence en 2008.

Les domaines de Crêta Plan, Sierre, servent de vigne prototype au bio. Isolée, elle préserve le raisin des influences phytosanitaires extérieures. En moins fleuri, si tu cherches le naturel et que ton voisin sulfate à mort, cela pourrit tes efforts.

« Durant huit ans, nous avons expérimenté. Avant de mettre sur le marché quoi que ce soit, il fallait que nous soyons sûrs de nous. En parallèle, notre équipe commerciale n’était pas très convaincue par le bio non plus… », confie Véronique Besson-Rouvinez.

St. Marcel,, Grône.

L’apprentissage contient son lot de surprises et de tâtonnements. « Crêta Plan puis St. Marcel à Grône sont des domaines relativement plats, cela facilite le travail au sol. Nous avons évidemment éliminé tout ce qui était de synthèse. De nouveaux produits sont arrivés sur le marché, comme cette poudre, qui ressemble à du talc, qui sèche et empêche le mildiou de proliférer. Nous avons appris à doser le cuivre car si nous enrichissons le sol avec, cela passe ensuite dans la nappe phréatique et le Rhône. Nous avons levé le pied histoire d’être cohérents avec notre démarche. »

La plus grande angoisse du bio passe enfin et surtout par la perte de la récolte.

Promesses dépassées

Photo Olivier Maire

Aux abords de 2016, la famille Rouvinez estime qu’il est temps de passer à l’acte. Je t’épargne la saga des labélisations – qui passe par la création d’une société 100 % dédiée au bio – et les tonnes de paperasse que cela impose. Le millésime 2017 se récolte, s’encave, se déguste et dépasse ses promesses.

« Il était tellement bon que nous avons décidé de le mettre en barrique pour le garder jusqu’en décembre 2018… »

Le temps qu’il se bonifie, je reviens à nos moutons Nez Noir. Car ceux-ci paissent vraiment depuis trois ans dans les vignes concernées.

« Nous ne sommes pas les premiers en Valais à laisser des moutons dans nos vignes. Mais sans doute sommes-nous les seuls avec la race Nez Noir. Roman Ziegler, qui gère notre domaine, a des amis éleveurs qui ne savaient pas où mettre leurs bêtes au printemps. Leur place était toute trouvée, il s’agit d’une période où l’herbe commence à pousser et où il n’y a pas encore de jeunes pousses de vigne… »

De mi-mars à mi-avril, le troupeau prend ses quartiers dans les domaines concernés, il passe ensuite par une zone de décompression sierroise (Crêtillon) et retourne dans le Haut-Valais, sur la commune de Zermatt.

Photo Olivier Maire

Philippe Rouvinez crée son petit effet sur les réseaux sociaux en y postant des photos de Nez Noirs en action dans les vignes. Comme un signe pour le reste : que le Nez Noir lègue son nom à cet assemblage.

Le mouton « le plus mignon du monde » mérite bien la grande messe d’un marketing ingénieux, tu seras d’accord…

« Ce sont les enfants de Philippe qui ont dessiné le brouillon de celui qui figure sur l’étiquette. Il a été ensuite retravaillé par L’Atelier Grand + Partenaires. Évidemment, il ne représente pas fidèlement un Nez Noir. Nous avons reçu deux ou trois courriers scandalisés de personnes qui nous le reprochaient, qui estimaient le dessin bête et stupide… », s’amuse Véronique.

La mise sur orbite du produit se prépare via une campagne d’affichage intense.

Ce printemps, impossible d’échapper à la trogne sympa du mouton emblématique sur le bord des routes valaisannes ! Restaurateurs et bistrotiers se laissent convaincre de le mettre en vin de la semaine ou du mois. Nez Noir épingle encore deux médailles d’or à son frais plastron laineux:  l’une au Mondial du Merlot et assemblage et l’autre au Concours des vins suisses bios.

La cohérence, citée plus haut, se poursuit avec une bouteille bourguignonne allégée (-150 grammes de matière première) et fabriquée à St-Prex. Tu y ajoutes des cartons d’emballage 100 % fibres recyclées. Je n’oserai te parler du prix, sinon tu croirais que cet article clone « Téléboutique Achat » !

De toute façon, le bouche à glotte s’est chargé d’en assurer la publicité, à notre Nez Noir. « Cela a aussi bien circulé sur les réseaux sociaux. Nous avons renoncé à tenir une conférence de presse, on s’est dit que les journalistes intéressés nous contacteraient… »

Bon, ben je suis le premier. Juste comme ça en passant pour dire au détour du dernier paragraphe de l’article avant le point final.

Joël Cerutti

Site : https://famillerouvinez.com/

PS : Par soucis de transparence – j’y tiens – j’ai contacté de mon propre chef la famille Rouvinez. Après notre entrevue, elle m’a offert trois bouteilles (deux Nez Noir et une Syrah). Leur démarche m’a séduit et il y a la volonté de partager une découverte car – oh oui ! oh oui! – cet assemblage s’avère des plus réussis à mon goût.

Photo Olivier Maire

PPS: En ce qui concerne la saga du Nez Noir, l’animal, je te renvoie à la page 218 du tome 1 de mon « Valais surprenant et (d)étonnant » (Editions Slatkine).