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Le 12 juillet 1854, Richard Wagner devait diriger la 7e Symphonie de Beethoven dans la Cathédrale de Sion. Devait… La veille, il plante l’orchestre et se barre en catimini. Récit jubilatoire d’un couac très très annoncé.

 

Mardi 11 juillet 1854, cathédrale de Sion, Richard Wagner a le poil mauvais.

Arrivé le samedi 8 dans la capitale valaisanne, il ronge depuis son frein en regardant tomber la pluie. Il dort au Lion d’Or (actuellement « Brasserie du Grand Pont »), il ne partage pas trop l’allégresse qui prévaut aux préparatifs de la Société helvétique de musique, 27e édition du genre.

Wagner a reçu comme mandat théorique la direction d’une symphonie signée Beethoven : la 7e. Grincheux, il ne cache rien de sa sale humeur, ni de ses appréhensions.

Bourré d’a priori, il pense que l’exécution de la 7e en sera une au premier sens du terme.

Il monte au pupitre et domine un orchestre disparate : 15 musiciens de l’orchestre de Sion, 1 instrumentiste de Sierre, 4 de Monthey, 4 de Zürich, 1 d’Argovie, 7 de Genève, 8 de Fribourg,19 du canton de Vaud, et 23 de Berne. La formation mobilise des amateurs éclairés dont le talent ne brille pas à tous étages de la virtuosité. Dans le tas, quelques maigres professionnels. Ils ont en tout et pour tout UNE répétition pour s’accorder… Les oreilles de Richard souffrent. Il estime calamiteuse l’acoustique de la Cathédrale… en symbiose avec ce qu’il subit. Wagner crache quelques remarques acerbes, il plante ce joli monde, part au Lion d’Or se faire la malle et les siennes. Il quitte ses deux « amis » – Carl Ritter et Robert de Hornstein – sans les formalités d’adieux. Les deux cuistres avaient eu l’outrecuidance d’ironiser sur sa mésaventure. « Ma colère avait provoqué chez ces jeunes gens un fou rire de gamins qui dégénéra en impertinence. Je supposai que leur gaîté provenait de l’entretien qu’ils avaient eu sans doute à mes dépens. Mes remontrances et mon courroux même n’arrivant pas à les ramener à la bienséance, je quittai la salle à manger absolument stupéfait et m’occupai si secrètement de mon départ qu’ils ne s’aperçurent de rien. », témoigne Richard dans ses mémoires.

 Problèmes de cors

En guise d’adieu, le fuyard laisse la clé de sa chambre et un petit mot au portier, que les organisateurs découvrent le lendemain matin à 9 h 30 (le concert devait commencer à 9 heures).

Notre ingrat aurait rédigé les mots suivants : « Wagner ne dirige pas lorsqu’il a de pareilles forces à sa disposition. »

Dans ses mémoires, Richard tempère l’effet de surprise. La veille, il aurait aussi prévenu – via quelques lignes « hâtives » l’autre chef d’orchestre engagé dans l’aventure, Monsieur Methfessel de Berne, « le véritable directeur de la fête ». Une troisième variante ? « Selon Maurice von Wyss, de Zürich, correspondant central de la Société helvétique de musique, Wagner aurait fait remettre au comité un billet pour excuser son départ, qu’il justifie par l’insuffisance de l’orchestre, notamment des cors. », explique André Donnet dans l’article qui détaille cette saga.

Ils l’ont un peu saumâtre, au comité de la Société helvétique.

Depuis 1808, cette manifestation se présente comme un Intervilles de la partition. Elle tourne dans toutes les villes de Suisse, afin de « répandre le goût de la bonne musique ». Des grandes œuvres sont interprétées grâce aux mélanges des forces musicales locales et de talents plus expérimentés.

Sion, 3 000 habitants, a endossé la responsabilité de la 27e édition au pied levé en décembre 1853 après la défection de St-Gall. La ville assume à donf et plein gaz. « Le comité a fait frapper chez Jacob Siber, graveur à Lausanne, des médailles en souvenir du concert ; il a fait imprimer à Sion les textes de l’Hymne de la Nuit et du Chant de Louange. Et pour couronner les préparatifs M. Frédéric Regamey, coiffeur à Lausanne, diplômé de Paris, est installé en l’hôtel du Lion d’Or pour coiffer ces dames de Sion. », poursuit Donnet.

Arcs de triomphe à Sion

Se rendre à Sion, en 1854, relève de l’exploit et des places disponibles dans des diligences qui partent de Lausanne et Vevey. La Société helvétique apporte de l’animation dans une période où, normalement, les rues ne grouillent guère de peuple. Les nobles bourgeois apprécient de prendre le frais au Mayens de Sion… Cette fois, ils ont acheté des cartes d’abonnement (15 francs, limité à 150 exemplaires) pour s’initier à la Grande Musique. Le pécule couvre sans doute la construction de trois arcs de triomphe posés à l’entrée de la capitale, à la porte de Loèche et à la rue des Châteaux.

Sur le programme apparaît le nom de Richard Wagner qui en rouspète par avance au printemps 1854 dans une lettre adressée à Franz Listz. « Dans les prospectus qu’ils lancent, il leur paraît utile de présenter la chose comme si j’avais accepté (en commun) avec Methfessel la direction de la fête musicale. Cela t’a peut-être frappé comme moi. Du reste, au point de vue « musical » il n’y a rien à attendre de ce festival ; on me fait trembler à l’idée de l’orchestre qui se trouvera réuni ; on doute surtout de pouvoir composer un chœur de chanteurs passable. En outre, comme ces braves gens ne répéteront qu’une fois, tu comprends bien que je ne me sois pas engagé plus avant dans cette aventure, et surtout que je n’aie pas songé à faire de la propagande active en faveur de l’entreprise. (…) Toute l’affaire n’avait pour moi d’autre attrait que celui d’une occasion de faire une excursion dans les Alpes (un voyage dans le Valais en passant par l’Oberland bernois). »

Même topo dans une autre missive datée du 7 juin. « Seulement, il ne faut rien attendre de cette sotte fête musicale (…) Je n’exécuterai que la symphonie en la majeur ; il y aura sans doute beaucoup de monde, mais pas beaucoup de musique… »

Dans ses mémoires, Wagner ira même jusqu’à s’engueuler lui-même de s’être quand même rendu à Sion. « Cela me faisait l’effet d’une grande fête de village, où je n’avais pas envie de faire ma partie. Je suis parti dare-dare. Qu’on ne me parle pas d’une « fête musicale » de quelque genre que ce soit. Mais cette fête avait été organisée si pitoyablement, de façon si peu digne d’une entreprise artistique, que j’emportai une impression absolument décevante du maigre orchestre jouant dans la petite église qui servait de salle de concert. Je m’indignai de l’étourderie avec laquelle je m’étais laissé prendre à pareille offre. »

 Trop grand homme et si petite ville

La diva attitude de Richard ne passe pas inaperçue dans la presse du moment. « Nous nous abstiendrons d’émettre notre manière de voir sur cette manière d’agir. Nous la laissons à l’appréciation du public », écrit Le Courrier du Valais le 20 juillet. La Gazette de Lausanne donne dans le fielleux : « M. Richard Wagner, qui a désespéré du succès, soit au vu de la liste des exécutants, soit parce qu’aucune de ses œuvres ne figurait au programme, et qui a déserté un poste qu’il eût dû tenir à occuper s’est montré ainsi moins jaloux de sa fortune que les Zurichois qui l’ont si cordialement accueilli et si chaudement étayé dans le monde musical. »

Le Bund de Berne entre dans les détails : « Le départ de Richard Wagner a fait naturellement une pénible impression, écrit-il. Selon une correspondance de l’Eidgenössische Zeitung, l’incident provient de ce que subitement environ six des premiers violons ont refusé de jouer et qu’au cours de la répétition les directives de Wagner n’ont pas été parfaitement comprises. » Le correspondant du Pays synthétise. « Il semble que Wagner, moins fort en géographie qu’en musique, a cru trouver à Sion les mêmes ressources qu’à Zürich. Déçu dans son attente et trop grand homme pour une si petite ville, il la quitta ouvertement… » Façon de parler…

Le 12 juillet 1854, la 7e s’est passée de Richard et son remplaçant par obligation le brave Methfessel bénéficie d’un miracle en la majeur. « Le concert surprit réellement chacun ; même ceux qui, à la répétition générale, avaient branlé la tête d’un air soucieux. La 7e symphonie laissa l’auditoire « dans le recueillement et l’admiration »»

Walkyrie qui Walkyrira bien le dernier… (et ceux qui me soupçonnent d’avoir choisi ce sujet uniquement pour caser ce jeu de mots foireux en fin de texte auraient presque raison !).

Joël Cerutti

Source: « Le concert helvétique de 1854 ou Richard Wagner à Sion » d’André Donnet, publié dans les Annales valaisannes, 1945, pages 453 à 475.

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