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Photo Jeanne Salamin

 

Elle a été la première femme de Suisse à diriger une section locale de la Jeune Chambre Économique. Elle a esquissé les premiers contours de Canal 9, participé au Festival International de la BD ou porté le Club de la Presse de la BCVs. Elle s’est mobilisée pour sauver les cinémas de Sierre et s’occupe, avec d’autres, de la Galerie Art Métro, Sierre. Elle, c’est Rita Salamin.

 

Rita passe son existence au cinéma du Bourg à Sierre. Elle n’en sort jamais. Elle y reste ad vitam aeternam, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Elle ne rate aucune projection, elle demeure immuable face à l’écran. Rita, c’est le prénom qui est brodé sur le dossier d’un fauteuil, unique en Valais. Une initiative hors du commun

… comme l’est la vraie dame qui s’appelle ainsi, Rita, Rita Salamin-Sierro. De voir son prénom sur ce siège, cela « a été une surprise et la honte ! », assure-t-elle avec une douceur emplie d’humour. « Maintenant, je n’ose plus aller au cinéma… », enchaîne-t-elle avant de révéler qu’elle a, en plus, reçu « un laissez-passer à vie » pour le 7e art à Sierre et qu’elle s’y rend quand même pas mal de fois, dans la salle du Bourg.

Sauvés par les opéras

Rita ne se résume pas à un dossier customisé. Rita, depuis des décennies, je la perçois comme une clé de contact. Dans une voiture, ce n’est pas ce que tu remarques en premier. Mais sans elle, rien ne démarre, ne bouge, ne roule. Rita rend les impossibles mobiles, elle réussit à desserrer les freins de causes désespérées (dont elle est par ailleurs la Sainte). Comme les cinémas de Sierre.

Le Nouvelliste – 1er mai 2013

Il fut un temps (entre 2012 et 2013) où les deux salles sierroises menaçaient de fermeture. « Pas rentables », assenait l’exploitant d’alors. Avec d’autres, Rita ne pouvait l’admettre. Naissance de l’association Écran Total pour redonner aux Sierrois le goût du Casino et du Bourg. « Durant un an et demi, nous avons envoyé des newsletters, via un fichier d’adresses, pour que le public revienne… » Puis, elle sollicite les conseils de l’ami d’un proche (soit un photographe français, une connaissance de Jean-Paul Forclaz). Comment apporter une plus-value aux cinémas sierrois ? « Retransmets des opéras en direct ! », qu’elle s’entend répondre. Il sait de quoi il cause, le sieur, car il appliquait ce conseil à un cinéma qu’il tenait en France. « Et ça marche du tonnerre ! » « Il m’a en plus fourni l’adresse de la société Pathé, à Paris, qui diffusait des opéras en direct et sur grand écran. Il ne restait plus qu’à savoir si cela plaisait au public de la région. Nous avons lancé un questionnaire sur internet », me décrit Rita. Le potentiel se perçoit car des fans d’opéras n’hésitent pas à prendre la route de Crans direction un cinéma de Vevey pour les déguster, ces captations ! Avec quelques coups de main, Rita et ses complices – dont son frère Serge Sierro, France Massy et Marc-André Berclaz ­– décrochent les 120 abonnements nécessaires pour que Max Glénat, nouveau gérant des salles sierroises, ose cette aventure. Depuis, l’opéra sierrois se joue très souvent à guichets fermés. Lorsque Rita s’est retirée d’Écran total la reconnaissance s’est manifestée avec son prénom cousu sur son siège d’Académicienne de l’Initiative.

Tenace et déterminée

Je te le balance sans y mettre des pincettes modestes. Depuis le milieu des années septante – derrière tout ce qui a bougé sur Sierre et Sion – tu pourrais retrouver la signature (très invisible) de Rita Salamin-Sierro. Elle a prêté son énergie, son expérience, ses réseaux à la Jeune Chambre Économique (JCE), aux prémisses de Canal 9, au Festival International de la BD, au Club de la Presse de la Banque Cantonale du Valais (BCVs), au Touring Club Suisse (TCS), et aujourd’hui à l’Art Métro Sierre (non, je ne te mettrai pas encore un acronyme).

Tu confies une mission à Rita ? Elle l’accepte. Puis plus rien n’interfère entre la théorie et sa concrétisation. « Oui, je suis quelqu’un de tenace et de déterminé », avoue-t-elle lorsqu’elle me reçoit dans son salon. Elle répète ensuite au long de notre conversation, par deux fois, cette phrase : « Nos actes nous suivent… ».

Le Nouvelliste – 28 janvier 1975

 

En MAJUSCULES, Le Nouvelliste se félicite que Rita soit la première femme de Suisse à mener une section locale de la JCE. Sous sa présidence, en 1975, se posent les premières discussions autour d’une télévision régionale via le réseau câblé sierrois. Rêver ? C’est sympa. Réaliser ? C’est encore plus de plaisir ! « Nous avons tenté un drôle d’essai depuis les locaux de l’Association Loisirs Et Culture (ASLEC). Avec l’aide technique de son club vidéo, nous avons diffusé une émission pirate à deux heures du matin. Car, pour voir si cela fonctionnait, il fallait couper les diffusions habituelles pour entrer dans le réseau ! Il s’agissait, si je me souviens bien, d’une interview de René-Pierre Antille, menée par Jean-Marc Marini, sur l’insémination artificielle des escargots ! » Ainsi s’esquissent les premières lignes (625 sur un écran cathodique de l’époque) de la future Canal 9.

Les amitiés indéfectibles

Quelques années plus tard, Rita assiste à la naissance du Festival International de la Bande Dessinée, toujours sous l’impulsion de la JCE. « La séance se tenait dans une salle de l’Hôtel Terminus. Nous discutions autour de l’organisation éventuelle d’un pique-nique géant à Géronde, d’un Festival des Multiples et Bernard Grand a proposé un Festival de la BD. Je crois que l’on peut dire que nous avons fait des choses sympas, à Sierre ! Nous étions un comité soudé qui avait la puissance d’un bulldozer lorsque nous nous mettions en mouvement. Il y avait un esprit JCE encore soutenu, à Sierre, par un bénévolat qui n’existait pas dans d’autres villes valaisannes. »

À cette même période (août 1983), Rita perd son mari, Gérard, photographe. Elle travaille à la BCVs, elle doit reprendre son magasin spécialisé – « Je n’avais jamais fait une seule photo de ma vie ! » – et surtout élever seule ses deux enfants, Rachel et Ivan. « Cette disparition nous a fait le cadeau de nous cristalliser de façon indélébile. Parfois, je plains mon beau-fils ou ma belle-fille ! » Rita n’en délaisse pas ses implications. Au Festival de la BD, elle gère des expos avec une spécialisation « dessins de presse ». « J’en ai gardé des amitiés indéfectibles. Je suis très fidèle, je reste en contacts réguliers avec des personnes depuis 60 ans. »

« Une chance extraordinaire »

Commissaire d’expos, elle enrichit son carnet d’adresses BD qui peut alimenter celui du Club de la Presse de la BCVs où elle décroche la présence de sacrées personnalités. « Quand Claude Angeli, alors rédacteur en chef du Canard Enchaîné, se déplace, puis le professeur Léon Schwartzenberg, cela facilite les autres contacts. Les gens sont honorés de venir s’ils savent qu’ils succèdent à ces personnalités. J’ai une chance extraordinaire et quasiment tous, à une exception, sont venus gratuitement », détaille Rita que rien n’arrête.

Défilent devant le public valaisan de grands noms issus de tous les domaines : le professeur Luc Montagnier, Edwy Plenel, Jacques Attali, Pierre Perret (une visite qui a donné l’Espace Pierre Perret à l’entrée de Rhône FM), Wolinski, Me Jacques Vergès. Euh non, pas lui… « Il devait venir un lundi à Sion. Le jeudi précédent, il m’appelle depuis la Thaïlande pour s’excuser de ne pas être des nôtres. Grâce à mon neveu Pierre de Preux, nous avons réussi à le remplacer in extremis par Jacques Barillon et Gilbert Collard. Cela s’est terminé par trois avocats pour le prix d’un ! »

Le Confédéré – 26 avril 1996

 

Elle persuade aussi un ministre français (Guy Drut, Jeunesse et sport sous le gouvernement Juppé) de se déplacer en Valais. Rita ignore qu’une telle venue nécessite une protection et la présence d’un ambassadeur. Arrivé en avance sur le quai de la gare à Sion, celui-ci propose à Rita un café… qu’il ne pourra pas lui payer, n’ayant par d’argent sur lui !

Le Nouvelliste – 18 septembre 1998

Dans le domaine de l’organisation, plus rien ne la terrorise depuis qu’elle a été formée, au TCS où elle assurait les liens avec la presse, par le président François Valmaggia. « C’est… un caractère ! Il est extrêmement minutieux, avec toujours un temps d’avance. Il laisse poser les choses et il est ensuite capable de tout chambouler avec une meilleure idée. Mon frère Serge est exactement comme lui. La première chose que m’a demandée François Valmaggia, c’était de proposer à un home, où l’on accédait avec une route bien en montée, un produit qui salait la chaussée. Avec lui, tu apprends ! »

Sur Linkedin, Rita résume ainsi son activité : « Relations publiques et communication ». Tu te doutes donc que cet article ne prélève qu’un petit glaçon de son iceberg. Notre dame aime l’ombre de l’hiver plutôt que la chaleur des projecteurs qu’elle laisse à d’autres.

Quasi en catimini, elle fête sur la Vigne à Farinet, le 11 mai 2019, ses 80 ans en « échalassant » l’unique cep « planté cette année ».

Une galerie qui tient à cœur

Depuis 2017, Rita s’investit dans l’Art Métro Sierre (AMS), une galerie d’art le long d’une galerie marchande au cœur de Sierre et trois étages en dessous de son lieu d’habitation. Qu’il vente, pleuve, neige, covide, les œuvres sont visibles n’importe quand. Idée basique, l’AMS récupère des vitrines publicitaires qui n’étaient pas utilisées. « C’est un lieu de passage, les gens s’y arrêtent volontiers et la surface y est plus grande que dans une galerie d’art traditionnelle. Les vitrines étaient louées à divers locataires mais pas entretenues. On y voyait surtout des mouches crevées. Depuis quinze ans, avec la coiffeuse Marcelle Mozzato, on se disait que l’on pourrait y faire quelque chose d’artistique… »

La pugnace Rita n’a pas trop eu de peine à convaincre les différents propriétaires de lui confier la gestion de leurs surfaces vitrées, encadrées. « Cette galerie AMS me tient à cœur. C’est un vieux rêve qui s’est réalisé. J’aime bien ce qu’a dit Jacques Brel sur le rêve : « Je vous souhaite des rêves à n’en plus finir et l’envie furieuse d’en réaliser quelques-uns. » J’ai eu cette chance et je m’autorise à rêver encore ! », m’écrit Rita par mail, quelques jours après notre interview. Elle ajoute ne pas organiser en solo dans l’AMS qui tourne grâce à un petit comité (Céline Salamin, Isabelle Zeltner, Mona Trautmann-Giorla et Nicole Pacozzi).

Un vernissage un peu, beaucoup fréquenté…

Rita (tout à gauche et qui essaie de se planquer) en 2017 avec quelques exposant.e.s.

Encore plus tard, je reçois sous pli postal, une clé USB avec des photos prises par sa petite-fille Jeanne. Jusqu’alors Rita ne posait guère devant les objectifs. Elle me confie le choix de la sélection. Sur la carte postale qui accompagne la clé USB, une photo de trois fleurs et un petit texte : « Trois vérités : Ne crois pas tout ce qu’on te dit, N’aime pas tout ce que tu vois, Ne dis pas tout ce que tu sais. » Il y a du subliminal, là-dedans, moi je dis !

Joël Cerutti

www.artmetrosierre.ch

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