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Sébastien Gramm – vacher, photographe, graphiste – est l’un des acteurs du livre « Des reines et des hommes » édité par Monographic. Aux côtés de Philippe Kittel, avec d’autres photos de Jean Margelisch et des textes de Jean-Yves Gabbud, il t’explique sa passion de la race d’Hérens.

 

Toi et moi, nous allons bénéficier d’un léger moment d’Éternité sur les alpages de Colombyre ou de La Merina. Nous nous glissons aux côtés de Sébastien Gramm, « en champs », qui garde le troupeau de vaches. Ce qui te broute un fuseau qui commence à 4 h 30 et se termine vers 23 heures. Avec le temps, tu adoptes la physionomie des lieux, comme Sébastien. Tant et plus que tu te fonds dans le paysage. « Sur certaines photos, prises par d’autres, on me voyait à peine. C’est comme si je portais une cape d’invisibilité », me décrit Sébastien dans son chalet familial des Collons.

Être zappé de la géolocalisation, disparu des radars, gommé des latitudes et les longitudes, il apprécie ça, Sébastien. Parce que c’est un discret. Pourquoi pavoiser ou se rengorger quand tu réalises ce que tu aimes?

Des vaches qui se lâchent

Ces derniers jours, l’actualité lui impose (d’un peu) se mettre en avant. Sébastien figure au sommaire du livre « Des reines et des hommes » avec sa trajectoire de vie, ses photos en noir et blanc. Qui portent sa griffe, sa patte, et pas deux pieds dans le même sabot question talent ! Son regard sur la race d’Hérens sort des cadrages habituels. Avec Sébastien, Alizée, Gâchette, Pinson, Tigresse se lâchent. Elles l’oublient, il en bénéficie. Il s’est confectionné une sorte de holster dans lequel il glisse un gros et encombrant Reflex. Il dégaine l’appareil photo, il fige dans la carte mémoire. Depuis quasi six saisons. « Oui, les photos sont venues très vite… », confirme Sébastien.

Avant d’être en intersection physique, Sébastien a dû s’adapter aux conditions des lieux. Par inexpérience débutante, il a été un vacher qui en a chié. « Je suis quelqu’un d’appliqué, de consciencieux, voire de perfectionniste. Cela ne me gêne pas de souffrir pour réussir. Mais je ne suis pas sado-maso pour autant… » Au placard les si légers t-shirts, le fin k-way et les baskets de touriste amateur. Sébastien endosse du Guy Cotten, la marque des habits portés par les marins bretons ! Ce qui nargue les embruns résiste aux climats alpins !

Comme je te le répète : avec Sébastien, les repères géographiques se plantent toujours. Il te cite : « Un homme estimable n’a pas de patrie » et ajoute « Je ne sais pas si je suis estimable mais je me sens pluriculturel. »

Son ADN tient du shaker agité ce qui rend les frontières marrantes voire inexistantes.

Son père vient de Stuttgart (Allemagne), sa mère de Châtillon-sous-Bagneux (Hauts de Seine, France). Ce couple élève Sébastien et son frère au Cameroun avant de se revenir en Europe, case Hambourg. « Cela a été un choc thermique ainsi que la rencontre avec des chaussures… ». Puis la petite famille se fixe à Nogent-le-Roi (Eure et Loir). Dès 1979, les Gramm acquièrent un chalet aux Collons et y passent leurs vacances d’hiver. Sébastien s’adapte déjà aux flocons valaisans.

« De la merde qui se vend… »

Dessin libre de Sébastien sur la thématique…

 

Au sortir de son bac, il part étudier les Arts Plastiques à l’École Maryse Eloy, 48 rue Beaubourg, 3e, Paris. « J’étais enfin libéré d’un carcan éducatif chiant pour apprendre à devenir créatif… » Son frère l’accompagne dans ces études qui promettent de te former dans le graphisme, le design, la comm’, le multimédia, la danse du sabre, le macramé, la pisciculture voire la cordonnerie (je te laisse deviner à partir de quel moment je dérape dans cette phrase…).

Les frangins Gramm se passent des mondanités vibrionnantes de Paris (« On ne sortait pas… »). Ils prennent le meilleur de ce qui est transmis, ils essaient d’oublier cette maxime : « Mieux vaut faire de la merde qui se vend que du beau qui ne se vend pas ! »

« On me l’a réellement dit, cela ne passait pas… » Cela coince aussi après quelques mois dans la très grande agence – Landor Associates – où Sébastien est engagé au sortir de Maryse Eloy. « Tu oubliais la création au profit de l’efficacité. »

 Refuge aux Collons

Logo tiré du site de Sébastien Gramm.

Un régime de six mois à ce rythme et Sébastien n’y tient plus. « Il était devenu vital que je me barre ! Sur un coup de tête, j’ai fait 9 heures de route et je me suis retrouvé au chalet des Collons. C’était au début du printemps 2004, je suis arrivé vers les minuits. J’étais seul, il faisait froid, il y avait une collection de vieux fers à repasser alignés au-dessus de la cheminée, je me suis écroulé sur le canapé en me demandant quand même ce que je foutais là. » Sébastien aurait pu reprendre la route en sens inverse et retrouver ses potes à Paris. Non. « Cela aurait été un échec et je suis très têtu. » Donc ? « Le lendemain, j’ai emprunté une fendeuse à bûches et j’ai coupé du bois. Il fallait que je m’occupe. »

Voir légende précédente. Petite précision: il s’agit d’une société imaginaire!

Ses premiers boulots valaisans se sont déroulés en tant que barman, au service, durant les saisons d’été et d’hiver. « J’appliquais aussi les bases d’un guide anti-consommateur, je faisais ma lessive avec des cendres, cela avait beaucoup marqué ma mère. » D’elle, Sébastien tient aussi une approche des bêtes. « Elle récupérait des chevaux de polo à la retraite, elle avait des oies partout, je n’étais pas éloigné du monde animal » Ce qui facilite le contact avec la race d’Hérens. Bref même pas peur lorsqu’il s’est initié à rentrer ses premières bêtes ou à les traire. « Et il y a la magie de cette bête qui te scotche ! Chaque vache possède sa singularité, pas une ne ressemble à l’autre. Certaines ont leur caractère, tu dois apprendre à te contenir, elles te mettent face à toi-même. Il y a les malignes qui passent sous les fils, sans les casser. Elles, tu les adores ! »

Dans cette galaxie des cornes, chaque étoile bovine campe son rôle. « À force de les observer, tu comprends leurs histoires. Il y a la cheffe de mafia qui envoie ses sbires au combat. Il y a les boxeuses qui foncent dans le tas. Il y a les judokas qui utilisent la force de l’adversaire… »

Résumé chiffré par Sébastien lui-même de son travail.

Avec ce travail de « forçat », Sébastien galère pour une vie sociale. « Je devenais sauvage, même si je revendique ce côté. Je ne suis ni timide, ni asocial, je suis sauvage. » 2019, il boucle son cycle de six ans, aussi pour en terminer avec « des plaisirs égoïstes » et passer plus de temps avec Aline, sa compagne. « Je continuerai à donner des coups de main avant la montée à l’alpage… »

Travail de Sébastien Gramm pour Chalet La Maya.

Sébastien essaie de « développer autre chose ». Le graphisme par exemple. Un œil sur son site te persuade d’emblée qu’il possède un génial savoir-faire équivalent à la qualité de ses photos. Des hauteurs, Sébastien en retire une nouvelle force. « L’alpage ne m’a apporté que du bon pour me construire… », souligne-t-il. Et puis il y aurait comme une intuition dans l’air. Quelque chose me susurre qu’après le livre, être zappé de la géolocalisation, disparaître des radars, se gommer des latitudes et les longitudes, il pourra moins, Sébastien. Merde et damned, le voilà repéré!

Joël Cerutti

 « Des reines et des hommes… leurs 364 autres jours », Edition Monographic, novembre 2019, 180 pages.

PS : Mille mercis à Sébastien de m’avoir confié les photos inédites qui illustrent cet article. Site de Sébastien: https://artgramm.com/

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