Après un roman et un téléfilm, Charles-Frédéric Brun – dit « Le Déserteur » – devient une BD aux Éditions Favre. Aux dessins, le sierrois Simon Tschopp qui renoue avec le scénariste Daniel Varenne. Le tandem, en 1988, avait déjà sorti un album dédié à Farinet. Voyages dans le temps avec Simon Tschopp en interview.
(Presque) le milieu du XIXe siècle (1843), Charles-Frédéric Brun emprunte des sentiers qui le conduisent à St-Maurice. Il doit avoir dans la quarantaine, il se présente comme « imagier de Dieu », il fuit la France et surtout les gendarmes. À Salvan puis dans la région de Nendaz, il gagne son surnom de « Déserteur ». Adopté et protégé, il gagne sa vie par ses images pieuses. On lui prête des talents de guérisseur.
(Un peu après) le milieu du XXe siècle (1953), Simon Tschopp vient au monde à Sierre, se forme comme charpentier puis se dirige vers les Beaux-Arts de Sion. En février 1973, il refuse ses obligations militaires et en subit la sanction pénale : 6 mois et 10 jours de prison à Bellechasse. « On était enfermé avec les trafiquants, cela aurait pu être pire », souligne-t-il. Il y crée au Rotring, sa première BD « Céxapil » où un pénis se balade à l’air libre durant toute l’histoire.
Installé à Genève dès le début des années huitante, Simon Tschopp remporte le second prix du concours Jeunes Talents organisé par le festival BD’85. Il y noue des liens avec Daniel Varenne et, en juin 1988, le tandem annonce la naissance d’une BD sur Farinet. Publiée en feuilleton dans L’Illustré, la saga finit en album aux éditions Rolf Kesselring. Celui-ci oublie un peu beaucoup de payer l’imprimeur et le livre part fort vite au pilon. Il aura quelque peine à trouver des lecteurs. Simon Tschopp l’a ressorti voici trois ans, lui offrant une seconde vie.
(Un peu) au début du XXIe siècle (14 octobre 2020), l’album « Le Déserteur » paraît chez Favre. « Le premier éditeur qui a répondu favorablement au projet… », dit Simon.
Cette création croise les destinées de Charles-Frédéric Brun, Simon Tschopp et Daniel Varenne. « À Nendaz, l’Association pour la sauvegarde du patrimoine nendard a imaginé Le Déserteur 2021 : une série d’événements qui commémorent les 150 ans du décès de Charles-Frédéric Brun. Ses initiateurs ont approché deux ou trois dessinateurs suisses, dont moi. Je peux penser que mes origines ont joué en ma faveur », annonce Simon Tschopp. Mandaté, il se tourne à nouveau vers Daniel Varenne pour le scénario. « Sa façon de fonctionner est restée à l’identique. Il est très exigeant, il a une idée précise de ce qu’il veut. Nous avons échangé, il a apporté ses corrections… » Mais encore ? « J’étais parti sur quelque chose de plus déjanté, il m’a recadré. Ensuite, Daniel m’envoie un découpage de l’histoire, il pose des traits sommaires, il m’indique des positions. Comme il perd la vue, il s’est fait aider par sa femme. Ensuite, il me laisse la liberté d’en rajouter… »
L’album « Le Déserteur » restitue avec une fidélité presque photographique les paysages valaisans. « Avec nos épouses, Daniel et moi avons séjourné deux fois deux semaines dans un chalet. Cela nous a permis d’effectuer des repérages, de sentir l’ambiance des lieux. Et puis nous avons eu la documentation fournie par la Médiathèque de Martigny. »
« Le Déserteur » a déjà donné lieu à un roman de Jean Giono (1966) et un téléfilm d’Alain Boudet (1973). Détail croustillant : Giono n’a jamais mis les pieds dans notre canton…
La part de légende offre la liberté d’autres approches. « Nous avons essayé d’apporter un regard différent, de créer quelque chose de nouveau. Daniel a imaginé un Brun très ascétique, sans doute plus religieux que dans la réalité. Même si quelque chose a déjà été raconté, on peut toujours y apporter son grain de sel. »
Entre un objecteur de conscience et un déserteur, se crée-t-il des liens d’identification ? Simon dévie la question en touche. « Ce qui m’étonne surtout, c’est la façon dont le Valais accueille des gens comme Farinet et Charles-Frédéric Brun. Pour ce dernier, c’est un vagabond affamé et il est accepté par la communauté même s’il est recherché. Cela montre le rapport du Valais de l’époque avec l’autorité et la flicaille. Je me demande comment cela se passerait maintenant… »
Cet album tranche avec celui de Farinet. Là où il y avait des angles, il y a plus de rondeurs et de très belles recherches dans les décors. « Avec Farinet, je cherchais à me rapprocher des gravures. Après, il est logique que le style évolue en trente ans. On change, les outils varient. Je suis passé du Rotring au feutre et à présent je travaille avec un ordinateur. « Le Déserteur » m’a pris deux ans de travail, on sait que cela va être long, on avance page après page, c’est une somme de travail. Mais il reste toujours le plaisir de dessiner ! »
Propos recueillis entre Noës et Genève via téléphone par Joël Cerutti
Mais encore :
L’excellent site de Simon Tschopp: http://www.simontschopp.ch/
Le reportage de Léman Bleu sur Simon Tschopp: http://www.lemanbleu.ch/fr/News/Du-dessin-de-presse-a-la-photographie.html
Manifestations prévues pour Le Déserteur 2021 (sous réserve de Covid): https://www.patrimoine-nendaz.ch/mission-deserteur-21
Trouvé dans les archives de la TSR (et c’est pas triste): https://www.rts.ch/archives/tv/divers/divers/5247343-peintures-du-cure.html
Bravo Simon, c’est un magnifique travail ! J’ai aussi apprécié l’approche de Daniel. Vous faites une belle équipe, chapeau !